Un monde fou, Hitler où ? - Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 - forum "Livres de guerre"
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Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 / François Delpla

 

Un monde fou, Hitler où ? de françois delpla le vendredi 08 juillet 2011 à 18h04


Lettre d'information n° 78


Chers abonnés,

L’ouverture du festival d’Avignon a de quoi rendre les historiens modestes : une pièce démarquant de près le livre de Yannick Haenel sur Jan Karski (un catholique polonais dénonciateur de la Shoah lors même qu’elle se déroulait), qui comportait de graves déformations sur la vie et les opinions de son héros, sur les voies et moyens de l’intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale, et, pire encore, sur les enjeux et la portée du procès de Nuremberg, a connu un triomphe à la fois public et critique, nonobstant le contre-feu tardivement allumé par notre profession lors de l’accueil dithyrambique du livre, en 2009.

Les choses s’aggravent même en un sens, puisque le livre était de guingois et d’une qualité littéraire peu éclatante, tandis que l'adaptation théâtrale, due à Arthur Nauzyciel, en fait, de l’avis général, un propos unifié et impressionnant tout en suivant fidèlement le texte du roman. Le préjugé a encore de beaux jours devant lui, selon lequel on pouvait découper la nocivité nazie en tranches et définir des priorités parmi les victimes à sauver, plutôt que de tout mettre en œuvre pour gagner la guerre (et, pour cela, de maintenir coûte que coûte l’alliance Est-Ouest, cible avouée ou non des campagnes(*) pour « sauver les Juifs »… ou les Polonais, d’ailleurs, inspirées au moins en partie par Hitler lui-même).

On peut tout de même se consoler en constatant, par une rapide revue de presse internautique, que Le Monde et Libération, en général plutôt médiocres ces dernières années dans les débats ayant trait à la Seconde Guerre mondiale, sauvent cette fois l’honneur de la presse en rappelant, précisément, les réserves des historiens.

Au demeurant, mon site accueille depuis peu, sur sa demande, les articles d’un engagé volontaire de l’armée française en 1944, Marc-André Charguéraud, devenu historien de l’attitude des nations étrangères, y compris le Vatican, devant le massacre des Juifs : . Une rubrique a été également ouverte sur le forum, pour en débattre :

Parmi les mises en ligne récentes, on trouvera les notes que j’ai prises en 1995 lors d’une expérience aussi brève que palpitante : la consultation pendant quelques heures, que je ne savais pas comptées, d’une version primitive du journal de Paul Baudouin, source essentielle car hélas souvent unique des délibérations du gouvernement de Vichy en 1940 . La récente divulgation d’un brouillon du statut des Juifs annoté par Pétain a montré que, faute de mieux, les historiens se fiaient beaucoup à son journal, ou plutôt au livre qui prétendit le divulguer en 1947, et j’espère que cette publication contribuera à ce qu’on le fasse en redoublant de précautions.

La rubrique « Lu » s’est enrichie de deux comptes rendus, ayant trait respectivement aux interrogatoires de Pétain et à l’attitude des nazis devant l’homosexualité .

Le chantier « Rudolf Hess » est plus actif que jamais, en raison des réactions suscitées par mon article dans Histoire(s) de la Dernière guerre (**) n° 11. Deux débats fondamentaux se sont greffés sur la discussion primitive (consistant à savoir si le voyageur avait été délégué par son chef ou s’était envolé à son insu) :

-l’obligation dans laquelle on serait de croire les documents et les témoignages lorsque tous convergent. En l’occurrence, tous (ou presque…) indiquent que Hess a tout manigancé tout seul. Mais Hitler et lui ont précisément érigé le mensonge en art de gouverner et règle morale de base (puisque les Juifs ont commencé !) ; on voit ainsi surgir des professions de foi positivistes qu’on aurait pu croire révolues, et une quasi-interdiction de mettre en doute la parole nazie, édictée par des gens qui lui sont par ailleurs tout à fait réfractaires ;

-la conception qu’on se fait du fonctionnement du gouvernement nazi. L’idée d’un Hess solitaire a en effet pour corollaire, depuis le début (c’est-à-dire depuis mai 1941), le fait de voir la direction nazie comme un panier de crabes, qui se battent pour conquérir ou reconquérir la faveur et l’attention du chef. On lit un peu partout (et depuis longtemps) que cette vision est dépassée, mais ce genre d’épreuve montre qu’elle a la vie dure.

Si l’anniversaire du vol de Hess a été manqué par les commémorateurs, ils se sont rattrapés avec le cinquantenaire du procès Eichmann. La contribution la plus intéressante est sans doute celle de Johann Chapoutot, dont l’article dans le numéro 12 du magazine précité Histoire(s) de la Dernière guerre rompt radicalement avec la vision arendtienne et enterre le « criminel de bureau » au profit de l’antisémite fanatique, en tirant parti notamment des propos recueillis par Willem Sassen dans les années précédant son arrestation. Cependant une question reste entière : l’origine de cet antisémitisme. Condense-t-il, comme on l’écrit couramment, des millénaires de persécutions au même moment dans des esprits divers et variés pour les faire converger vers une démarche d’éradication, sous l’influence de divers facteurs politiques et sociaux, ou la personnalité de Hitler joue-t-elle, dans ce passage à l’acte, un rôle indispensable ? Voilà qui
invite à se pencher de plus en plus sur la folie de Hitler, comme divers débats de forums l’ont fait récemment, résumés ici :

Sur la folie de Hitler, je vous invite aussi à guetter, vers la fin de ce mois, un numéro spécial du magazine Histomag dans lequel je postface un dossier sur le nazisme en utilisant cette clé :

Enfin, un nouvel éditorial souligne la nécessité plus aiguë que jamais du regard historique dans les enjeux actuels, à propos de Fukushima et de la présidentielle française notamment.

Agréable surf !


fdelpla




(*) Je dis bien des campagnes, qui revenaient à demander à Roosevelt et à Churchill de s’entendre et de converger au moins tacitement avec Hitler, et non des actions concrètes de sauvetage, là où elles étaient possibles, en disputant leurs proies aux nazis.

(**) Dont le rédacteur en chef Yannis Kadari vient de publier chez Perrin une excellente biographie du général Patton.


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