Lettre d'information n° 78 du site de l'historien François Delpla
Chers abonnés,
Je vous entretiendrai encore prioritairement, ce mois-ci, du lieutenant de Hitler, de son vol vers l'Ecosse en pleine guerre le 10 mai 1941 et du semestre, en principe commémoré cette année, qui précéda ses quarante-six ans de captivité (1941-1987).
Je suis de plus en plus frappé par la similitude entre cette question et celle de l'incendie du Reichstag. Dans les deux cas, Hitler est en mesure, à la fois, d'agir et d'effacer les traces. Dans les deux cas, les historiens, le plus souvent sans avoir beaucoup fouillé la question, ont tendance à exonérer les nazis au bénéfice du doute... voire à ne pas douter du tout, et à prendre carrément l'absence de preuve pour la preuve de l'absence.
Les débats internautiques (les seuls qui aient cours à ma connaissance, la presse spécialisée ou non boycottant décidément cet anniversaire à une heureuse exception près, déjà signalée
) sont de plus en plus heurtés, une tendance violemment intégriste s'étant fait jour et obtenant çà et là , ce qui semble bien être son but, le verrouillage de la discussion. Je continue d'en faire le point ici :
.
D'autre personnes estiment -ce qui est également un point de vue traditionnel- que l'épisode est insignifiant, et qu'il y a dans l'histoire du nazisme et de la guerre qu'il a déclenchée mille questions plus intéressantes. Quelle erreur ! On touche au contraire ici au coeur de l'essentiel : le nazisme est-il une monstruosité anarchique, ou une entreprise certes folle, mais intelligemment menée ?
En l'occurrence, je suis victime du début d'audience de mes analyses sur l'intelligence du Führer : puisque cette entreprise échoue lamentablement, elle ne pourrait être hitlérienne et Hess aurait bien agi de sa propre initiative. Il serait le Rantanplan d'une certaine bande dessinée !
C'est négliger une question : Hitler était-il si sûr que cela de vaincre l'URSS en quelques semaines et, fort de ce succès, d'obtenir la chute de Churchill avant l'entrée en guerre des Etats-Unis ? Si non, le vol de Hess, même hasardeux, était une chance, à jouer malgré les risques d'échec, d'éviter la très dangereuse aventure d'une guerre sur deux fronts.
Cette question et celle du Reichstag sont donc une démonstration très utile du fait que l'historien doit savoir trancher en dépit de l'absence d'une preuve matérielle, au nom de la logique d'ensemble d'un processus. C'est bien par une telle méthode qu'on en est venu à reconnaître, depuis une vingtaine d'années, que Hitler avait, en toute certitude, donné l'ordre du massacre des juifs d'Europe.
La rubrique "Lu"
s'est enrichie de commentaires sur deux livres importants : "Le Troisième Reich et les homosexuels" de Thomas Rozec ,et "Pétain : j'accepte de répondre" de Benoît Klein.
Bonnes lectures !
François Delpla
PS - Si ce message s'affiche mal, retrouvez-le sur le site :