Je rappelle cet article de mon site, où Jean jardin est cité :
, comme il l'est dans mon livre de 2008
Qui a tué Georges Mandel ?
Il s'agit d'une affaire de première importance pour les relations franco-allemandes au tout début de l'Occupation. Abetz cherche à corrompre Daladier -un passager du
Massilia rapatrié en métropole dans la seconde quinzaine de juillet, puis arrêté le 6 septembre avec Reynaud et Blum, Mandel leur étant peu après adjoint comme captif au château de Chazeron.
Les Allemands ont approché en août Lucienne Mollet, secrétaire de Daladier lors de ses fonctions gouvernementales de la décennie précédente. Ils lui disent vouloir que l'ex-taureau du Vaucluse reconnaisse publiquement qu'il a été entraîné dans la guerre, en septembre 39, par "les Juifs anglo-saxons" de Londres et de Washington, à coups de menaces et de fausses promesses. Il est prié aussi de fournir des documents à l'appui.
Bref, la machine à faux documents et faux témoignages du nazisme tourne à plein régime, dans le dessein de faire accroire que l'Allemagne a bien été victime d'un complot juif lors de ses amicales pressions sur la Pologne fin août 39, afin si possible de faire tomber Churchill tout en empêchant la réélection de Roosevelt, en mettant sous le nez de leurs compatriotes les conséquences militairement catastrophiques de leur aventurisme.
L'affaire est connue en tout et pour tout par le
Journal de captivité de Daladier, publié en 1991 par son fils Jean, qui sans doute n'a pas compris que ce passage était assez compromettant. Car l'affaire s'y trouve résumée en une seule fois par l'auteur début novembre et semble à son honneur, puisqu'il a alors refusé de coopérer. Mais alors, que ne l'avait-il signifié depuis août ? On se trouve là devant un cas typique de vertu hitlérienne, empêchant des Français, sous l'Occupation, de se compromettre davantage parce que Hitler, en définitive, ne lâche pas les récompenses (pour le zèle pro-allemand de ses interlocuteurs) qu'il avait un temps laissé espérer. L'appât, en l'occurrence, était un traité de paix "clément" et anti-anglais. Tout le dossier montre que Daladier était prêt à entrer dans la combine, avec une abnégation toute pétainiste : se laisser déshonorer pour assurer à la France de menus avantages. Quant à Hitler, il a peut-être été en partie frustré (il est bien possible qu'il ait cru dans une certaine mesure à ces pressions anglo-saxonnes sur la France au moment de la déclaration de guerre, et cherché à en savoir plus) mais il atteint son but primordial : faire traîner à terre la langue de Pétain pendant des semaines en lui laissant espérer ce "traité clément", lui extorquer un statut des Juifs et l'amener sous les flashes de Montoire, puis le jeter comme une vieille chaussette.
Abetz et son conseiller Achenbach déploient dans l'affaire un zèle qui montre qu'elle a sur leur agenda une priorité haute, jusqu'à la veille de la rencontre de Montoire. Or fin septembre Achenbach emmène Lucienne Mollet en week-end à Trouville... en compagnie de Jean Jardin ! Ce cadre de la SNCF n'était peut-être pas là que pour veiller au bon fonctionnement de la locomotive.
J'ai bien entendu consulté Assouline, et voici ce que cela donne :
Les activités de Daladier au mois d’août, après son retour d’Afrique du Nord, ne sont évoquées dans aucun livre. La biographie de Jean Jardin écrite par Pierre Assouline mentionne cependant une note écrite par Jardin en 1966, en vue de ses mémoires, indiquant que le dernier dimanche d’août 1940 Achenbach avait l’avait convoqué ainsi que Lucienne Mollet pour leur dire que Hitler détestait Laval en raison de ses efforts diplomatiques de 1935 tendant à encercler l’Allemagne, et souhaitait son remplacement par Daladier, « qui lui a[vait] beaucoup plu à Munich » (cf. Une éminence grise, Paris, Balland, 1986, p. 67).
Voilà donc Jardin trempant dans une intrigue anti-Laval ! mais a-t-il été introduit dans le jeu par la paire Abetz-Achenbach, ou avait-il un lien antérieur avec Daladier ? En tout cas il est alors du dernier bien avec les Boches, et mêlé par eux à une intrigue capitale.
De surcroît, l'épisode explique qu'il arrive à Vichy, en janvier suivant, non pas dans l'entourage de Laval, provisoirement hors jeu, mais dans celui du ministre des Finances Bouthillier, homme clé de l'armistice et de la collaboration.
Quant à Gabriel Jardin, il a décidément bien tort de dire que les historiens n'ont jamais rien trouvé à redire sur son père. Il aurait dû être attentif à la parution de
Qui a tué Georges Mandel ? Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.