Autant la critique du livre d'Edouard Husson par Florent Brayard ne me convainc pas entièrement, sachant qu'elle multiplie les coups d'épée dans l'eau, autant les apports de cet historien, véritable érudit de la "Solution finale" (même si je ne suis pas davantage convaincu par l'ensemble de ses affirmations - résumées ici) ne sont tout de même pas à négliger.
Dans "La longue fréquentation des morts. À propos de Browning, Kershaw, Friedländer - et Hilberg" ( Annales, Histoire, Sciences Sociales, 64e année, n°5, sept.-oct. 2009, p. 1053-1090), Florent Brayard revient ainsi sur la construction de l'historiographie récente du génocide juif, à travers les cas de quatre de ses historiens les plus connus. Il se révèle ainsi particulièrement critique à l'endroit de la formule "travailler en direction du Führer" utilisée par Ian Kershaw pour définir le système décisionnel nazi, et dont il cerne les limites, pour conclure :
Hitler était certes confronté perpétuellement à des propositions de ses subordonnés, mais il arbitrait dans les deux sens, le plus souvent dans celui de la radicalisation, mais parfois également dans celui du maintien du statu quo. Ainsi, le « travail en direction du Führer » pouvait connaître de nombreux ratés dont I. Kershaw ne rend pas compte, parce qu’ils contrarient la belle mécanique qu’il a élaborée. Mais il y a plus : Hitler, à certains moments ou à partir d’un certain moment, décidait, et seul, ce qu’il convenait de faire. Il n’est pas douteux ainsi qu’il était le seul maître du temps, que c’est lui qui déterminait le moment de l’action. Il ne fait pas plus de doute qu’il contrôlait étroitement le contenu général de l’action en cours, déportation ou meurtre, dans la mesure où il en suivait l’application jusqu’à un certain niveau de détails. Ainsi, le « travail en direction du Führer » n’était pas le seul moteur de la radicalisation de la politique antijuive, tant s’en faut. Dans certaines périodes cruciales, serait-on tenté de dire, c’était Hitler qui faisait le travail. |