Voici, pour éclairer la question de savoir si le comportement de la Wehrmacht en France « n’avait rien à envier aux SS quant aux atrocités », quelques extraits de l’excellente étude « Wehrmacht, Waffen-SS et Sipo-SD : la répression allemande en France 1943-1944 » du docteur Peter Lieb (Department of War Studies, The Royal Military Academy Sandhurst - RMAS, UK) .
[…] entre février et avril 1944, les Allemands ont lancé quatre premières grandes opérations militaires contre la Résistance. Ce furent l’opération « Korporal » dans l’Ain en février, l’opération « Hoch-Savoyen » contre le plateau des Glières à la fin du mois de mars, l’opération « Brehmer » en Dordogne à la fin mars-début avril et l’opération « Frühling » dans l’Ain et le Jura en avril.
Des atrocités […] marquèrent déjà ces quatre opérations, même si elles ne s’accompagnèrent pas encore de grands massacres de population civile. Cependant, il est à noter que ces crimes […] sont généralement à imputer à la Sipo/SD et non à la Wehrmacht. […] un membre de la Sipo/SD accompagnait toujours chaque compagnie ou même chaque section de la Wehrmacht pendant les opérations. C’était lui qui exerçait les responsabilités concernant toute forme de représailles. […] Pendant l’opération « Frühling » […] le chef de la 157e division de réserve, le lieutenant général Karl Pflaum, s’est plaint explicitement des méthodes appliquées par la Sipo/SD comme les fusillades d’innocents ou la destruction des maisons.
En mai 1944, […] le Militärbefehlshaber in Frankreich a émis une nouvelle directive qui changeait la coopération entre la Wehrmacht et la Sipo/SD. Désormais les responsabilités des représailles exercées pendant les actions contre le Maquis étaient partagées entre les chefs militaires et la Sipo/SD. Le chef militaire […] avait le droit de faire fusiller des maquisards pris l’arme à la main. Il pouvait aussi faire incendier des maisons qui étaient soupçonnées d’avoir servi de refuge aux maquisards. […][En outre], le « Sperrle-Erlass » […] prescrivait à la troupe de répondre immédiatement par le feu quand elle serait attaquée par la résistance française.
[…] En dépit des exactions survenues au printemps 1944, la plupart des massacres se sont déroulés pendant l’été 1944 […]. La troupe allemande a souvent réagi dans un climat d’incertitude, croyant se trouver devant la première étape d’une insurrection générale en France.
Néanmoins, il faut constater un fait stupéfiant […]. Pendant les grandes opérations du printemps 1944 […], le nombre des victimes civiles avait dépassé nettement celui des résistants. Durant les grandes opérations de l’été, ce fut le contraire, même dans le Vercors […]: la Sipo et le SD, qui réglaient tous seuls les « représailles » au printemps 1944, se comportaient en général d’une façon plus dure dans la répression que les représentants de la Wehrmacht.
[…] En somme, parmi les dix plus grands massacres de l’été 1944, dans neuf cas, les auteurs provenaient de la Waffen-SS ou de la Sipo/SD. […] De façon générale, c’est parmi la Waffen-SS que se trouvaient les unités les plus brutales.
[…] [Pour les] massacres commis par des unités de la Wehrmacht, […] l’expérience de l’Est semble avoir joué un rôle considérable. Un cas singulier accentue ce constat : celui des unités appelées « Ostbataillone », recrutées parmi d’anciens prisonniers de l’Armée Rouge, parfois appelés « Mongols » ou « Cosaques » […] qui ont souvent pillé, torturé et violé. Bien sûr, […] leurs supérieurs allemands semblent assez souvent les avoir encouragés à commettre des atrocités.
Si on analyse la liste des plus grands massacres commis à l’encontre des civils, on constate très vite un troisième facteur. Toutes ces unités qui ont participé aux plus grandes atrocités sont des unités dites d’élite : unités blindées, unités de parachutistes comme à Vassieux-en-Vercors.
[…] Mais il demeure une grande différence entre les unités d’élite de la Wehrmacht et certaines unités de la Waffen-SS : à l’exception de Vassieux-en-Vercors, il n’y a pas eu de massacre en France où la Wehrmacht ait massivement assassiné des femmes et des enfants. De plus, à Vassieux, le chef de la Sipo/SD de Lyon, l’Obersturmbannführer Werner Knab, a joué un rôle décisif dans le carnage.
[…] Les auteurs allemands de ces grands massacres ont toujours [sauf une exception] rempli au moins un des quatre facteurs cités : l’idéologie, l’appartenance à une unité d’élite, « l’expérience de l’Est », l’expérience de la guerre contre les partisans. […] Toutefois, il reste la règle générale : plus une unité réunissait ces facteurs, plus le résultat de son action était meurtrier. On peut le constater pendant les opérations « Treffenfeld » dans l’Ain et le Jura en juillet 1944, « Vercors » dans l’Isère et la Drôme en juillet-août ou « Hochsommer » dans l’Isère en août 1944. Dans ces trois cas, les éléments de la 157e division de réserve, qui y participaient, ne remplissaient qu’une des conditions (l’expérience de la guerre contre les partisans). Même si le comportement des unités de cette division n’est pas demeuré sans taches, il est néanmoins frappant de constater que d’autres unités qui réunissaient plusieurs des facteurs énumérés ci-dessus ont laissé une trace plus sanglante : dans l’opération « Treffenfeld », ce fut le cas avec les « Ostbataillone » et des Cosaques (qui avaient l’expérience de l’Est, jointe à l’expérience de la guerre contre les partisans) ; dans le « Vercors », ce furent les paras du « Kampfgruppe 200 » avec le commandant de la Sipo/SD de Lyon (idéologie nazie, unité d’élite, expérience de l’Est et expérience de la guerre contre les partisans) et le « Kampfgruppe Zabel » avec des éléments de la 9e division blindée (unité d’élite, expérience de l’Est et expérience de la guerre contre les partisans) ; dans l’opération « Hochsommer », ce fut à nouveau le cas d’un « Ostbataillon ».
[…] D’une certaine façon, la guerre contre la résistance française a été plus cruelle que dans l’Est : selon les ordres de l’OKW, tous les maquisards français devaient être traités, non pas comme des combattants, mais comme des francs-tireurs. Aux yeux des Allemands, la reconnaissance des FFI comme combattants aurait remis en cause la légalité du régime de Vichy, duquel l’occupant dépendait dans beaucoup de domaines. Les résistants devaient donc être fusillés après leur capture. |