En septembre 1945, soit près d’une année après sa démission de conseiller fédéral en charge du Département politique fédéral (DPF) – l’équivalent d’un ministre des affaires étrangères –, Marcel Pilet-Golaz écrit à son successeur Max Petitpierre un Aperçu sur les dangers auxquels la Suisse fut exposée au cours de la guerre mondiale 1939-1945. Ce document très important pour la compréhension de la politique suisse durant la Seconde Guerre mondiale, visait à donner au nouveau chef du DPF les moyens de répondre aux interpellations des parlementaires. Il présente un tour d’horizon de la menace allemande sur la Confédération, telle que Pilet-Golaz l’avait ressentie, au-delà de ce qui pouvait être reconstruit à partir des documents officiels. « Les situations critiques dans lesquelles la Suisse s’est trouvée et dont quelques-unes furent très graves ne se sont pour ainsi dire jamais concrétisées dans des notes diplomatiques, qui les auraient créées, éclairées ou dénouées. » (AF E27/14343, Aperçu de Marcel Pilet-Golaz, p. 2)
Il est vrai que les quatre crises relevées par Pilet-Golaz pour l’ensemble du conflit, soit (1) le début de l’offensive allemande à l’ouest (10-15 mai 1940), (2) les combats aériens entre la Luftwaffe et la chasse suisse (8-24 juin 1940), (3) le survol du territoire helvétique par les bombardiers britanniques (automne 1940) et (4) l’intervention allemande dans les Balkans (printemps 1941), ont éclatées durant la période 1940/41. L’ancien chef du DPF affirme effectivement qu’il n’a plus cru à une attaque allemande à partir du 21 juin 1941, relativisant ainsi les alarmes ultérieures auxquelles le Service de renseignement et l’armée ont réagi (par exemple l’alarme Viking en 1943).
Pour autant, à mon sens, on ne saurait dire « que pour Pilet Golaz la Suisse a connu qu'une seule alerte, c'est en été 1940, lorsque l'armée de Guderian était à la frontière avec la France. »
La première raison est évidemment que Pilet-Golaz considère quatre alertes, et non une seule, réparties sur plus d’une année. Mais, au-delà de cela, quelques considérations montrent qu’il n’a rien perçu de la réelle menace qui pesait sur la Suisse. La raison invoquée par Pilet-Golaz pour considérée la seconde phase de la Campagne de France comme un période à risque pour la Suisse est les provocations qu’ont constituées les victoires de la chasse helvétique sur la Luftwaffe et l’accueil fraternel réservé par la population du Jura suisse au corps d’armée Daille lors de son internement. Il n’évoque pas l’arrivée menaçante de Guderian à la frontière. De plus, pour lui, c’est l’annonce de l’armistice (signé le 22 juin 1940, mais dont il semble avoir pris connaissance dans la nuit du 24 au 25) qui sonne la fin de cette alerte. Or, c’est précisément cette nuit-là que Menges a mise à profit pour l’établissement du plan d’invasion de la Suisse par la Wehrmacht (voir Klaus Urner, Il faut encore avaler la Suisse, p. 61).
Le 16 juin, Guderian arrive à la frontière suisse. A ce moment, il ne semble exister aucun plan d’invasion de la Suisse. L’action allemande au détriment de cette dernière consiste alors à l’envelopper complètement avant la signature de l’armistice (ce qui échouera de très peu). Les discussions sur l’invasion débuteront le 22. Donc, contrairement à ce que pensait Pilet-Golaz, l’armistice de juin 1940 marque le début et non la fin de la menace pour l’indépendance de la Suisse. Son discours controversé du 25 juin, soit le jour de l’achèvement du premier plan d’une opération contre la Suisse, montre bien que, tout comme l’armée, le SR et probablement l’ensemble du peuple suisse, il s’est trompé sur la signification pour son pays de l’arrêt des combats en France. |