> Quant aux dénationalisations de l'été 40, elles
> concernèrent des Juifs et des non-juifs indistinctement,
> et sont à mettre en relation, non avec l'antisémitisme de
> Vichy, mais avec sa xénophobie, laquelle existait depuis
> plusieurs années en France.
Et donc, voilà le fondement du fantasmatique "mandat" ?
Il est certes difficile de matérialiser "l'opinion publique", somme de vies, d'expériences et d'intérêts différents. Néanmoins, certains historiens ont tenté de déterminer le poids de la xénophobie (l'hostilité à l'étranger) et de l'antisémitisme (l'hostilité au Juif, peu importe sa nationalité) dans la société française des années trente et quarante.
Ralph Schor, dans L'opinion française et les étrangers en France de 1919 à 1939 (P.U. de la Sorbonne, 1985), a révélé l'ampleur d'un courant xénophobe en France, dans les années trente, accentuée par l'arrivée de réfugiés allemands et autrichiens fuyant le nazisme, et à partir de 1937 de réfugiés espagnols fuyant tout simplement la guerre civile et la répression franquiste. Le renforcement de l'appareil législatif contre l'immigration procède de cette tendance, qui s'intègre dans la montée des peurs : peur de la guerre, et peur du déclin, alimentant les théories du complot, de la "causalité diabolique" (Léon Poliakov).
S'agissant de l'antisémitisme, Pierre Laborie, dans L'opinion publique sous Vichy. Les Français et la crise d'identité nationale, Seuil, coll. Points Histoire, 2001, ajoute (p. 144-145) : "Qu'il soit explicite ou larvé [...], qu'il s'agisse d'un antisémitisme populaire ou de conviction idéologique profonde, il imprègne une grande partie de l'opinion française, à droite et à gauche, chez les catholiques, dans tous les milieux professionnels. Là encore, comme pour la xénophobie, ces tendances sont étroitement liées aux difficultés matérielles du quotidien, au pacifisme et à l'anticommunisme."
Avec la défaite de 1940 vient le temps de l'Occupation avec un grand O, donc des privations. Elles favorisent l'indifférence d'une large frange de l'opinion à la législation antijuive, outre de stimuler un stéréotype antisémite assimilant le Juif et l'argent (Pierre Laborie, op. cit., p. 277-281).
Un autre élément, toutefois, a pu jouer. Selon Pierre Laborie (ibid.), il s’agit de prendre en considération le fait que les persécutions touchaient d’autres catégories que les Juifs, tels les francs-maçons ou les communistes, ce qui assurait une dilution des hostilités et une indifférence plus marquée encore. Après tout, si les Juifs faisaient l’objet d’une législation répressive, à côté des membres de la "conjuration maçonnique" et des "séides de Staline", sans doute l’avaient-ils cherché...
Mais Vichy a beau encourager l'antisémitisme et la xénophobie, pour rallier l'opinion à sa politique, 1942 constitue, à tous égards, un tournant. Les rafles policières, par leur brutalité, suscitent un vaste sentiment de pitié à l’égard des déportés. Elles interviennent, il est vrai, dans un contexte défavorable à Vichy, comme le rappelle Pierre Laborie (op. cit., p. 282-283) : "Le contexte général dans lequel l’opinion évolue depuis le printemps 1942 incite à rapprocher l’opposition à la persécution des juifs du mouvement croissant d’hostilité à l’égard des occupants et du gouvernement. On peut ainsi se demander si la condamnation de la répression antisémite ne devient pas effective à partir du moment où elle entre, en les renforçant, dans les modes de pensée qui conduisent au rejet catégorique de la présence ennemie et de la collaboration, quand les méthodes utilisées se trouvent à leur tour identifiées aux conséquences inacceptables de l’Occupation. Le sort réservé aux Juifs devient un argument de plus dans l’enracinement des attitudes d’opposition à la présence allemande et au régime qui vit dans son ombre." |