Nos recensions sur le site de l'Histobibliothèque ont fait l'objet d'une rubrique spécifiquement consacrée au Mur de Berlin et à l'histoire du communisme en Europe de l'Est en général.

Pour revenir au livre de Jean-Paul Picaper, Berlin-Stasi (Syrtes, 2009), l'une de ses révélations me laisse songeur...

Dans les années soixante, les milieux étudiants de Berlin-Ouest constituaient un foyer de contestation de la République fédérale allemande. Ce foyer était certes alimenté par la Stasi, mais témoignait surtout, à mon sens, d'un malaise d'une partie de la jeunesse, né de divers archaïsmes de la société ouest-allemande (notamment à l'Université) et aussi du questionnement de la responsabilité des parents dans la commission des crimes nazis. De ce point de vue, Jean-Paul Picaper me semble insuffisamment rappeler ces deux éléments, et trop insister sur les stratégies de manipulation imaginées par les maîtres-espions est-allemands.

Il n'en apporte pas moins une révélation de taille, s'agissant de la manifestation étudiante - et de gauche - hostile à la visite du Shah d'Iran, le 2 juin 1967. Ce jour là, l'atmosphère est en effet tendue, puis sombre dans la violence. A cette occasion, en effet, les hommes de main du Shah n'hésitent pas à s'attaquer aux manifestants, sous les yeux de la police ouest-allemande qui laisse agir, avant de disperser la foule de manière brutale. C'est alors qu'un étudiant de 26 ans, Benno Ohnesorg, est abattu par un policier, Karl-Heinz Kurras. Cet événement poussera d'autres extrémistes de gauche à se lancer dans la guérilla urbaine révolutionnaire - la fameuse "Bande à Baader".

Or, précise Jean-Paul Picaper, reprenant en cela un scoop rendu public outre-Rhin, ce policier était un agent de la Stasi infiltré à l'Ouest.

Je ne me rallie pas pour autant à la thèse qui voudrait que les services secrets d'Allemagne de l'Est aient ordonné à Kurras de tuer un manifestant pour déchaîner des troubles. Certes, le dossier Kurras a été sévèrement épuré par la Stasi avant sa disparition, empêchant ainsi d'en savoir davantage. Certes, la mort d'Ohnesorg, par balle dans la tête dans une arrière-cour, pourrait ressembler à une véritable exécution. Mais Kurras lui-même était une tête brûlée, un homme à la gâchette facile, nourrissant une fascination morbide pour les armes à feu. En outre, il me semble surtout que Kurras devait renseigner la Stasi sur la police ouest-berlinoise en général et ses collègues en particulier.

En toute hypothèse, la naissance de la Bande à Baader découle également d'éléments propres au passé et à la personnalité, parfois troublée, de ses membres, et il est donc peu vraisemblable que la Stasi ait été capable de prédire cette dérive terroriste, qu'elle a toutefois, par la suite, appuyée.

Jean-Paul Picaper apporte certes une précision intéressante : l'un des cerveaux de la Fraction Armée Rouge, Ulrike Meinhof, était membre du parti communiste est-allemand, et était agent d'influence de la Stasi à l'Ouest. Mais là encore, Meinhof me semble avoir suivi son propre chemin, personnel et idéologique, passant de "petite télégraphiste du Kremlin" à un rôle plus conforme à sa mentalité obsessionnelle, en l'occurrence une croisée révolutionnaire, écoeurée par la société d'Allemagne de l'Ouest et fermant les yeux sur les réalités du Bloc de l'Est.

Sur la Bande à Baader, voir The Baader-Meinhof Complex, de Stefan Aust, The Bodley Head Ltd., 2008 (à l'origine de l'excellent film de Uli Edel sorti l'an dernier, et dont la séquence de la manifestation du 2 juin 1967 reste saisissante) ainsi que Butz Peters, Tödlicher Irrtum. Die Geschichte der R.A.F., Fischer, 2007.