Jean Moulin inquiétait la tendance droite dure de la Résistance par la dimension emblématique de son "cross over" politique. On l'a dit et écrit, il avait tout du futur ministre et son expérience au cabinet de Cot avant-guerre lui avait permis d'acquérir un sens de la manoeuvre et une pratique du pouvoir indispensables pour le gouvernement provisoire de la République présidé par De Gaulle. Entre 40 et 42, les hommes d'appareil, les administrateurs efficaces ou les grands commis d'Etat ne s'étaient pas bousculés dans les bureaux de la France Libre... Pour le général, l'arrivée de ce préfet en octobre 1941 fut une bénédiction. On sait De Gaulle sensible aux C.V comme celui que pouvait lui présenter Jean Moulin. Ce préfet de sensibilité "progressiste" mais qui avait pris ses distances avec Cot et le Front populaire va lui permettre d'établir des liens avec la(les) gauche(s) non communiste(s). Rapidement, il aura rang de ministre dans la France Libre et, faisant passer ses convictions personnelles à l'arrière-plan, travaillera inlassablement à la réunion de toutes les tendances de la Résistance intérieure. Si "Libération" et "Franc-Tireur" sont acquis à l'idée d'une reconnaissance politique "opportuniste" du général De Gaulle, "Combat", le puissant mouvement créé par Frenay renâcle à se soumettre à l'autorité du représentant en France de De Gaulle. L'arrestation de Berty Albrecht qui avait été l'éminence grise d'Henri Frenay a une importance réelle dans le refus de Frenay de se plier aux directives de Londres. L'étoile de Pierre de Bénouville grimpe en ce printemps 43 et il va supplanter idéologiquement la mémoire de celle qui fut la "conscience" sociale de Frenay. Il y parvint puisque le chef historique de "Combat" lui demande d'assurer l'intérim à la tête du mouvement le temps de son séjour à Londres. Frenay ne reviendra pas en France occupée mais partira pour Alger où il sera ministre dans le gouvernement provisoire.
Pour les cadres maurrassiens de la Résistance, Jean Moulin incarne ces hommes nouveaux que la guerre et leur rencontre avec la dynamique de la France Libre rendent supects, voire dangereux dans la perspective de la libération et de la reconstruction d'un pays ravagé tant économiquement que socialement et politiquement.
Avec des personnalités telles que Louis Vallon, Stéphane Hessel ou Capitant, l'esprit de la Résistance des cadres non communistes mais soucieux de réformes profondes pouvait rencontrer les gaullistes "progressistes" et modifier la France, une vision insupportable pour ceux qui militaient depuis les années 30 en vue d'une restauration anti-démocratique.
Amicalement,
René Claude |