Cette remarque d'Alexandre (de Rome) m'a remis en mémoire ce texte tiré du livre de Vercors "Moi Aristide Briand"
"Comme tous les Français, j'avais participé à la liesse populaire, tout au long de cette journée inoubliable du 11 novembre 1918. Toutefois, en même temps, je n'avais pas non plus cessé d'être le siége d'un sourd malaise. Pourquoi donc ce cœur gros ? Je ne me complais pas, de façon générale, en délectations moroses. Mais en regardant levés vers moi, au Palais-Bourbon, ces visages hilares, excités, enthousiastes, je pensais étrangement : " S'ils savaient... "
S'ils savaient quoi ? C'était encore confus dans ma pensée. Savaient que rien n'était fini. Que l'arrêt des combats n'était encore qu'une trêve, qu'un entracte. Que c'était loin encore d'être la paix. Que celle-ci dépendrait, pour s'établir et se consolider, de la façon dont on allait s'y prendre maintenant avec l'Allemagne. Or ce que je voyais poindre, en cette journée de fièvre ce n'était pas une politique de paix. Ce que je voyais éclater, dans cette foule en délire, c'était l'ivresse sans doute de la délivrance, mais plus encore une ivresse de vengeance. Vae victis ! On va leur faire voir, aux Boches ! Sous la pression de cet appel, le vaincu serait mis à terre, sous le talon. Outre ses armes on lui arracherait ses biens, ses territoires, sa propre peau. Or quelle nation – à moins d'être réduite en cendres - supporterait ce traitement à la longue ? Laquelle ne finirait par se jeter dans la révolte ?"
Vercors "Moi Aristide Briand" |