Voici ce que j'en écris dans une note de mon Mandel dont la parution est désormais imminente :
On explique encore souvent cet acte par des raisons locales. C’est faire bon marché de la visite, pourtant connue depuis longtemps, de Himmler à la division Das Reich en avril 1944, à Montauban. Le texte de son discours n’a pas été retrouvé mais l’examen de son agenda (Bundesarchiv-Berlin, NS 19/1445) me permet aujourd’hui de remarquer qu’il n’effectue pas d’autre voyage en France cette année-là, que celui-ci, très bref, a pour objet unique la visite de quelques unités SS dans le Sud-Ouest et qu’il a une heure d’entretien en tête à tête avec le général Lammerding, qui commande la division Das Reich. En cette période où les forces d’occupation prennent leurs dispositions en vue du débarquement, la programmation du massacre intégral d’un gros bourg paisible au lendemain de celui-ci, pour terroriser les civils français comme pour ôter de la tête des simples soldats allemands toute idée de faiblesse ou de désertion, est dans l’ordre des choses. Ce qui, soit dit en passant, placerait l’affaire, sur le plan pénal, plutôt dans la catégorie du crime contre l’humanité (les victimes sont désignées en raison de leur appartenance à une communauté nationale, baptisée France) que dans celle du crime de guerre, chef retenu lors du procès de Bordeaux en 1953. C’est là un transfert, ponctuel mais éclatant, de la violence quotidienne de la guerre à l’est vers celle de l’ouest. On pourrait même parler d’une transfusion ou d’une inoculation. Or Himmler, comme le prouve son agenda, continue de visiter fréquemment Hitler, et il y a de fortes raisons de penser que cet acte éminemment politique, d’une violence inspirée par le cynisme nazi le plus pur mais néanmoins dosée et circonscrite, porte la griffe du dictateur en personne.
Maillé et les autres massacres villageois, dont les victimes sont (au maximum) trois fois moins nombreuses, ont Oradour pour matrice mais ne sont pas "des Oradour". |