C'est une bonne idée, et je vais essayer d'y participer malgré une disponibilité réduite.

Faudra juste que je lise ce recueil de textes avant ;-)

De mémoire, j'avais longuement développé ces thématiques dans des messages à la suite d'un livre de Jünger...

En ce qui me concerne, je souhaite sortir de la dialectique traditionnelle (entre blancs et noirs) qui consistent à limiter le débat entre :
- "ces pôvres allemands premières victimes du nazisme" ;
- "l'allemand est congénitalement un barbare nazi".

Je simplifie bien sûr à outrance.

Or, il me semble que la réalité se situe entre les deux, à condition de poser les données du problèmes de manière sereine et sans émotion (ce qui ne veut pas dire sans coeur).

Partant de cette intuition, et sans savoir où elle me conduirait, j'ai commencé à me "farcir" certains recueils et témoignages comme celui que Francis vient de donner, assez abject (je ne vous parle même pas des photos... c'était déjà insupportable, mais depuis que je suis devenu père, c'est encore pire...).

Puis je me suis rendu compte qu'en 1914, en 1870, en 1814, cela n'avait pas été mieux (le cas typique étant l'Armée de Blücher, dont on peut suivre la trace en suivant les villages brûlés ou pillés, alors pourtant que l'époque n'était pas tendre).

Puis vinrent l'étude de la négociation et du contenu des conventions internationales de La Haye sur le droit de la guerre (parfois fort éloignées des idées reçues).

Enfin, je me suis plongé dans les mécanismes de formation des officiers et sous-officiers allemands (entre 1900 et 45), souvent établis sur la base des expériences napoléoniennes (on est à l'apogée de Clausewitz) ou coloniales (cf le livre de Charles Caldwell sur les petites guerres), puis sur d'autres périodes qui échappent à la période de ce forum (la tristement célèbre "école française d'Alger" exportées en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, en Israël jusqu'en Iraq...).

Je ne reprends pas tout cela pour vous en "mettre plein la vue" (ce serait mal me connaître), mais seulement pour exposer le cheminement qui m'amène aujourd'hui là où je suis.

Si la démarche génocidaire est spécifiquement nazie (même si hitler n'est que l'héritier d'un vaste courant racial et antisémite), cette démarche va rencontrer une pratique "traditionnelle" de la lutte anti-partisans spécifique à l'armée allemande, qui n'a pas réellement d'expérience coloniale, et qui dévoie l'analyse Clausewitzienne en imaginant que la force brute et sans limite est le moyen le plus efficace et rapide pour annihiler la résistance, et le soutien éventuel que la population peut lui donner.

sans entrer dans le détail, la petite guerre est une guerre où la population est l'enjeu, mais non la cible. Elle doit donc subordonner le militaire au politique. or, l'Armée allemande, en déformant la célèbre définition de Clausewitze, subordonne alors le politique au militaire ! Il est donc impossible que les théoriciens militaires allemands puissent emprunter les mêmes chemins que ceux des autres puissances, de surcroît confrontés au problème pratique dans les Colonies :
- soit on extermine tout le monde (comme avec les Aztèques, un peu aidé par les épidémies) ;
- soit on ne peut pas tout se permettre et on doit penser à conquérir ,les coeurs, donc modérer l'emploi de la force.

Malgré le hors-sujet, une synthèse des théories militaires antisubversives anglaises, françaises et américaines est faite ici ( ): rien sur l'allemagne (pourtant lieu majeur de la pensée militaire occidentale du XXème siècle, même après 45)...

Songez donc aux exactions de l'armée allemande en Belgique en 1914, en lisant ce texte, écrit 24 ans avant à l'attention de tous les officiers français engagés dans les opérations, je cite :

« Chaque fois que les incidents de guerre obligent l’un de nos officiers à agir contre un village [...], il ne doit pas perdre de vue que son premier soin, la soumission des habitants obtenue, sera de reconstruire le village, d’y créer un marché, d’y établir une école. C’est de l’action de la politique et de la force que doit résulter la pacification du pays et l’organisation à lui donner plus tard ». Général Gallieni, instructions fondamentales du 22 mai 1898 à Madagascar

Sans cela, et malgré l'écart technologique, aucune colonie n'aurait pu tenir tant de décennies...

Or, l'école "allemande" de la guerre anti-partisans est aux antipodes de ces considérations. Il ne s'agit pas de condamner moralement un prétendu "sadisme" des allemands (je n 'y ai jamais cru, c'était pour la plupart des hommes comme les autres) mais de relever que, par choix doctrinal lié à une certaine appréciation de Clausewitz, et par manque d'expérience coloniale, l'armée allemande de 1914, comme la Wehrmacht se présente avec des méthodes de lutte contre les "petites guerres" en contradiction flagrante et assumée avec les engagements internationaux du pays, mises en oeuvre au mépris des Lois de la guerre, et finalement infiniment moins efficaces...

Voilà où j'en suis, sachant que cette réflexion traite des exactions contre les civils, et en dehors de la Shoah (c'est typiquement Ouradour qui m'intéresse), même si je conçois qu'en réalité tout cela fut mêlé dans ce flot continu d'atrocités qui laissa l'Europe de 1945 détruite moralement et subjuguée politiquement par les super-puissances.

Cordialement,

CM