La grande bataille de Nimier consista à convaincre ses contemporains qu'il ne fallait pas mettre les écrivains dans des casernes idéologiques; trop jeune pour être mobilisé en 39/40, il assista aux événements avec les yeux d'un enfant doué trop sensible que choquèrent les attitudes changeantes et cruelles des "grandes personnes". A la Libération son amour du beau style lui attira de solides inimitiés du côté des nouveaux censeurs du Comité National des Ecrivains; il défendit certains proscrits (Giono, Montherlant, Chardonne et Morand) qui avaient eu des faiblesses coupables pour Vichy et, sans être des adeptes de la collaboration, avaient accepté de signer des articles dans des revues ultras. (Colette a aussi écrit des trucs dans le journal de la Milice, tout ça est vraiment affligeant !)
Ce que Nimier essayait de faire comprendre c'est que les écrivains sont en général à côté de la plaque lorsqu'ils se mêlent de politique... Bien sûr, il sait que les mots d'un Brasillach ou d'un Céline peuvent être les auxiliaires du bourreau: les nazis ont déporté et fusillé son grand ami Henri Mosseri à qui il dédicacera "Les Enfants Tristes". Et pourtant, malgré l'horreur et la douleur, il se fit l'avocat des "indéfendables" au nom de la littérature et du talent. Avec une campagne de presse efficace, il parviendra à calmer certains esprits qui voulaient coller Céline contre le mur...! Le grand aigri de Meudon pourra rentrer en France et y poursuivre son travail sur la langue en publiant "D'un Château l'Autre", une chronique terrible de Sigmaringen. Chez un Céline,un Faulkner ou un Joyce, c'est leur ton différent et surtout les formes nouvelles qui font exploser les codes de la langue que Nimier recherche inlassablement. Il affirme alors que l'on ne peut pas faire taire des génies, fussent-ils aussi corrompus que Céline...!
Le talent peut-il excuser les comportements les plus vils ?
Amicalement,
René |