Bonjour,
Le livre de Notin m'étonne, parce qu'à priori je pensais que ce livre qui concentre des histoires racontées dans des dizaines d'autres livres, ne m'apprendrai pas grand chose de nouveau. Mais pourtant, c'est le cas.
Ainsi pour les spahis, je connaissais deux versions du départ de Jourdier.
La première le présente entraînant derrière lui tout son escadron. Cette version était un peu suspecte puis qu'il parlait lui même d'un spahi ayant flanché. Le tout devenait donc "tout -1". Et puis l'une des photos des spahis est célèbre parce-que retouchée pour augmenter leur nombre. Hors ce nombre augmenté ne fait visiblement pas un escadron.
La 2e trouvé dans le livre de Thierry Moné, limite le nombre des spahis suivant Jourdier à 41, et encore, c'est l'effectif du 16 juillet 40 et il a donc récupéré quelques individus ayant passé la frontière tout seuls (dont mon père).
Le livre de Notin, qui a bénéficié du témoignage de Jean Ballarin, éclaire ce passage de Syrie en Palestine d'un jour un peu différent. Je lui laisse la parole :
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La reconnaissance de la frontière palestinienne doit s'opérer en soirée. L'escadron, à cheval et en tenue, part longer la rive droite du Litani. Jourdier s'entretient rapidement avec Villoutreys. Il prévoit de parler à la troupe à un carrefour précis dont il proposera de suivre l'embranchement de gauche qui conduit en Palestine, plutôt que celui de droite prévu par la mission. Parvenu au lieu annoncé après moins d'une heure de patrouille, Jourdier s'adresse à ses hommes : "Voici les deux chemins, le bon et le mauvais. Que ceux qui ne renoncent pas à se battre me suivent, je ne me retournerai pas, et je les compterai ce soir". Pas un spahi de l'escadron ne lui fait défaut. Un hurrah! ponctue l'événement, mais celui qui le hurle flanchera par la suite...
Quelques minutes après les rattrape au galop le commandant d'un autre escadron du GRI. "Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu ? s'insurge-t-il auprès de Jourdier, tout le monde serait venu." En fait, Jourdier a effectivement pensé à prendre langue avec les autres officiers du GRI, mais le temps lui a manqué. "Attends jusqu'à demain, je ne suis pas prêt aujourd'hui" , ajoute son camarade. Mais Jourdier refuse "Aujourd'hui je pars, personne ne m'arrêtera. Demain, tu ne le pourras pas."
Ces choix-là ne supportent pas l'indécision. De fait, Jourdier ne verra poindre en Palestine aucun des autres officiers de son groupe de reconnaissance. Bien au contraire. Un autre messager l'accoste peu après en side-car, alors que l'escadron s'abreuve dans le Jourdain. Il s'agit de l'adjoint du commandant du GRI qui tente de le dissuader de son geste. En vain, pour Jourdier. Un de ses pelotons, commandé par un indigène, revient cependant sur sa décision et fait demi-tour, excepté le maréchal des logis Gilbert Vergne.
La frontière est franchie par tout le reste de l'escadron, le lendemain, sans obstacle. Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, ce sont deux autres pelotons qui faussent compagnie au bivouac dans les gorges du Jourdain. La marche vers la France Libre n' a rien d'une voie royale! Elle risque même de tourner au massacre quand, quelques heures plus tard, le fleuve franchi, les derniers fidèles de Jourdier entendent les fuyards installer en batterie les mitrailleuses qu'ils ont dérobées. Heureusement Ballarin a eu l'intuition salvatrice de les trafiquer avant de se coucher. Sans lui, l'escadron terminait dans la fusillade générale l'escapade syrienne. Mais l'écrémage ne s'arrêtera pas là. Car Si le 2 juillet, à Roshpina, Jourdier récupère, chez des cavaliers anglais, quelques spahis qui ont fui individuellement, ainsi que l'adjudant Arainty qui, chargé du convoi muletier, accuse du retard, une vingtaine d'hommes de l'escadron optent encore, quatre jours plus tard, pour le retour en Syrie.
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Tout ceci nous montre encore une fois, que les Français Libres ne sont généralement pas des hommes qui ont suivi leur chefs sans trop savoir ce qu'ils faisaient, mais que chacun d'entre eux a pris une décision individuelle qui n'allait pas de soi.
Amicalement
Jacques |