Le récit de Lee :
"Je vis la fin de la guerre dans une volute de fumée qui s'élevait en spirale des restes de la retraite montagnarde d'Hitler à Berchtesgaden 4. Même si la zone avait reçu des bombes de très gros calibre, écrasant les maisons comme des œufs durs et perçant le flanc de la montagne de cratères, la propre maison d'Hitler tenait toujours debout, avec le toit légèrement de travers et des flammes qui bondissaient des fenêtres après que les SS aient mis le feu en guise de salut final. Je rampai sur les collines créées par ces bombardements et dans les décombres de la maison de Goering, voisine. Je regardai la hampe de drapeau nue sur laquelle avait flotté la dernière bannière nazie, au-dessus de cette redoute. Les SS en partance en avaient ôté le svastika central, ne laissant que le tissu rouge.
Un coucher de soleil colorait le sommet neigeux des montagnes, et il faisait assez bon auprès des feux. Deux autres démarrèrent à la pointe opposée, comme des balises, et les soldats sur la jeep tenaient leur mitrailleuse prête, car s'il restait un nazi vengeur refusant de capituler, nous faisions une cible de choix à la lueur des flammes.
La route descendant à la ville en contrebas était abrupte, froide et sombre. Les quelques Allemands que nous croisions étaient des soldats qui essayaient de se rendre, et au poste de commandement, des gens de la Gestapo en civil défilaient sans interruption. Le restaurant de l'hôtel nous servit le dîner qu'ils avaient probablement commandé le matin.
Dans la matinée, l'incendie fut quasiment maîtrisé, de même que les pillards, par la force: légalement, car c'était une propriété de la Wehrmacht. Les chars français étaient enfin arrivés, après avoir manqué l'occasion de faire l'histoire à Berchtesgaden, en se perdant dans les embouteillages. L'endroit ressemblait à une compétition automobile où s'affrontaient les deux langues, et les Français, bien que ne s'étant pas emparés eux-mêmes de l'objectif, proclamaient que c'était leur zone et n'autorisaient pas les Américains à hisser leur drapeau seuls au cours d'une petite cérémonie au sommet de la colline.
Tout le monde recherchait des souvenirs de la «Vie avec Hitler» et explorait les kilomètres de quartiers souterrains taillés dans le roc, sous et à côté de la maison. Considérant qu'Hitler était anti-alcoolique et ne supportait pas que l'on fume en sa présence, il était remarquablement bien approvisionné en meilleurs vins et champagnes d'Europe, whisky d'Angleterre et cigares les plus fins.
De toute façon, la maison n'a pas brûlé entièrement et il y avait une pièce pour entreposer des livres et des trésors au-dessus du sol. Mais la principale animation se trouvait à l'intérieur de la montagne: des kilomètres de bibliothèque, salles à manger, matériel de cinéma, salons et cuisines. Mobilier de style bavarois rustique et poterie artisanale pour la décoration. Caisses de linge et d'argenterie ornés d'un aigle et d'un svastika au-dessus des initiales A.H., qui finirent dans les poches des chasseurs de souvenirs, les livres jetés ça et là, s'ils ne présentaient ni ex-libris, ni dédicace, ni reliure particulière. C'était comme une grande fête sauvage avec des bouchons de Champagne qui fusaient au-dessus de la hampe de drapeau et la maison qui s'écroulait sur nous. De temps à autre, des gravats dégringolaient en cascade du toit et, des entrailles de la maison, une explosion (les contre-renseignements français essayant d'ouvrir le coffre-fort d'Hitler) secouait la colline en crachant de la fumée et des briques. J'imagine qu'il ne restait pas d'archives de valeur, les troupes d'élite SS ayant dû y veiller, mais au cas où il en aurait subsisté avant l'arrivée des Français, c'était fini. Il ne restait même plus un objet pour un musée concernant ce criminel de guerre, et partout dans le monde on montrera aux gens un rond de serviette et une fourchette soi-disant utilisés par Hitler.
En bas dans la vallée s'étendait une superbe propriété. Six maisons de style bungalows s'espaçaient largement sur le plateau. Le soleil intense et la vue des montagnes couvertes de glace rappelaient un centre de vacances plutôt que la propriété du maréchal Goering et l'état-major suprême de la Luftwaffe. La tante du commandant de camp déambulait sans but, se demandant que faire du linge et que faire du corps d'un général qui s'était suicidé. Le général von Kastner qui reposait bouche ouverte avec une balle dans la nuque, avait l'air trop vieux pour les combats de toute façon. Il avait revêtu son plus bel uniforme pour l'occasion. C'était le seul habitant du camp.
4. Berchtesgaden a été prise le 4 mai 1945, et les Allemands ont capitulé le 8 à Berlin."
Laurent |