Je ne fais pas de Delpla un adepte du néo-nazisme. Je cause bien plutôt des
implications logiques de sa thèse, de ce que certaines personnes peuvent en déduire. Et encore, ce que je lui reproche surtout, c'est de défendre pareille théorie,
alors qu'elle ne repose que sur des spéculations.
Peu importe qu'une thèse soit immorale, du moment qu'elle est étayée par des éléments fiables et concordants. Mais une thèse immorale qui ne repose que sur du vent est à mes yeux
irrecevable. Que son auteur s'y accroche
mordicus en dépit de l'argumentation adverse
me pose un autre problème, touchant à la manière même d'analyser l'Histoire, et surtout d'en débattre. A ce titre, les reproductions partiales, parce que partielles, des débats que j'ai pu avoir avec François Delpla (lorsque retranscription il y a), sont de nature à me scandaliser prodigieusement.
Loin de reconnaître avoir eu tort, mon honorable contradicteur cherche à désinformer les visiteurs de son site et à me faire passer pour un imbécile fanatique, incapable de sortir d'une sphère
"religieuse" et incompétent en matière historique, bref met en cause mon honnêteté intellectuelle.
Delpla, disais-je, n'est pas nazi. Son problème est qu'il ne voit pas les implications de sa théorie,
prétendant bizarrement qu'elle montre Hitler sous un jour tout aussi diabolique. Puisque l'Allemagne signe la paix avec l'Angleterre et la France en 1940, nous dit-il, elle n'entrera pas en guerre contre l'U.R.S.S. - et tant pis pour
Mein Kampf ! Or,
c'est dans le seul et unique contexte d'une guerre à l'Est que Hitler aurait pu exterminer les Juifs (ce que Delpla reconnaît d'ailleurs sans difficulté) - et tant pis pour l'antisémitisme génocidaire de ce dictateur !
Delpla ajoute en effet qu'il y aura peut-être des morts - mais
faute de guerre, je ne vois pas lesquelles. Il espère que les Etats-Unis entreront finalement en guerre contre le
Reich -
quand et à quel titre, il ne le précise pas (pour rappel, dans notre réalité Washington n'a jamais déclaré à la guerre à Moscou, dont le régime était tout aussi sanglant et dangereux que celui de Berlin). Il pense que le nazisme n'est pas amené à durer, en quoi je le rejoins, mais estime probable que sa chute sera
sanglante, ce qui me paraît franchement illusoire - la quasi-totalité des dictatures d'extrême-droite et d'extrême-gauche en Europe se sont effondrées d'elles-mêmes, sans bain de sang, si l'on excepte à la rigueur Ceaucescu en Roumanie.
Bref, la Deuxième Guerre Mondiale n'a pas lieu, le génocide est évité, mais Delpla cherche à se "rassurer", à nous "rassurer", en prétendant abusivement que le sang coulera quand même,
sujet sur lequel il reste désespérement vague.
En réalité,
tout un chacun peut s'apercevoir que la théorie delplaïque fait du nazisme une alternative politique acceptable - aussi acceptable que les dictatures que notre pays a appuyées ou s'est abstenu de critiquer, s'entend - même si son auteur n'y songe nullement. L'un de nos collègues contributeurs, Bruno Roy-Henry,
s'en est parfaitement rendu compte sur le forum de François Delpla (même si ce même contributeur se trompe lorsqu'il prétend que je ne veux pas examiner les conséquence probables du
Haltbefehl du 24 mai 1940).
Si l'on accepte la théorie de Delpla, voici en effet ce qui en découle :
1) l'Europe occidentale maintient ses intégrités démocratique et territoriale ;
2) les Juifs ne sont pas exterminés - et je suppose que Hitler ne peut les maintenir dans les ghettos polonais, puisque d'après Delpla il tient compte des
desiderata de la communauté internationale (!) ;
3) d'après Delpla, l'U.R.S.S. est censée livrer l'Ukraine sans se battre (comment ? Delpla ne le dit pas), beau camouflet pour Staline, mais ce dernier reste au pouvoir et son Etat survit, quoique affaibli parce que diplomatiquement discrédité ;
4) aucune guerre mondiale ne se produit, les Etats-Unis restant neutres (le Japon ne peut démarrer sa politique d'expansion en Asie du Sud-Est puisque Hitler ne tient pas à se brouiller avec la France, qui peut se maintenir en Indochine, ni avec la Grande-Bretagne, qui tient à sauvegarder ses intérêts à Hong Kong et Singapour).
L'Allemagne est redevenue une grande puissance, et
Hitler, poursuit Delpla, quitte le pouvoir, le laissant à Göring, pour s'occuper de la construction d'édifices avec Albert Speer. Delpla nie d'ailleurs avoir proféré une chose pareille. Alors voici ce qu'il écrivait
sur un forum le 27 juin 2007 :
"certes il démissionne au profit de Göring pour aller se consacrer avec Speer aux monuments du Grand Reich mais il garde pendant des décennies la haute main sur son oeuvre." Intéressante citation, non ? Quand je vous le disais, que ma mémoire était quasi-infaillible... On ne peut pas en dire autant de la sienne. A moins, évidemment, qu'il faille rechercher une autre explication à cette étrange dénégation.
En tous les cas, l'implication archi-probable de la théorie delplaïque, c'est qu'une victoire totale du nazisme en 1940 aurait finalement causé bien moins de morts, et ce à tous les niveaux.
Autrement dit, si Hitler avait gagné la guerre, les Juifs auraient été sauvés, l'Europe n'aurait pas été détruite, et le communisme n'aurait pu se répandre comme le choléra dès 1945, la peste brune apparaissant finalement bien moins sanglante. Bref, on est à la limite de la sécurité collective basée sur l'égoïsme sacré des grandes puissances. Ca ouvre des horizons, non ?
Voilà pour l'aspect moral. En ce qui concerne l'Histoire :
1) Hitler, agissant ainsi, déchire
Mein Kampf en mille morceaux ;
2) Hitler, agissant ainsi, parvient à mettre un sacré bémol à une haine qui, dans notre réalité, est allée aussi loin que les chambres à gaz ;
3) Hitler, agissant ainsi, affaiblit Staline mais sans le mettre à mort, ce qui est prendre un risque énorme, d'autant que la seule Ukraine est stratégiquement vulnérable ;
4) Hitler, agissant ainsi, ne profite pas de l'occasion inespérée qui lui est donnée de pulvériser l'U.R.S.S. en y concentrant la totalité de ses forces militaires ;
5) Hitler, agissant ainsi, n'est pas prêt de concrétiser son alliance avec le partenaire japonais, plutôt en crise ;
4) Staline nous est dépeint comme suffisamment lâche pour céder ladite Ukraine sans tirer un coup de feu, ce qui est difficile à croire, sinon absurde. Il certes sera prêt à de larges concessions territoriales dans les premières semaines de
Barbarossa, mais
après le choc initial du 22 juin 1941.
La difficulté majeure du raisonnement provient de son absence totale de preuves.
J'ose au passage préciser que mon point de vue ne rejoint pas les versions traditionnelles. A mon sens, Hitler a résolu d'exterminer les Juifs - tous les Juifs - vers 1918-1919, par réaction névropathique à la défaite allemande, qui fera voler en éclats ses dernières illusions de déséquilibré. Il intègrera ce fantasme génocidaire dans une vision du monde criminelle mais recherchée et cohérente, l'édification d'un espace vital à l'Est qui donnerait à l'Allemagne la suprématie en Europe. Bref, au moins dès la rédaction de
Mein Kampf, il envisage de détruire l'U.R.S.S., à la fois pour satisfaire une ambition colonialiste et pour liquider le marxisme, qu'il assimile à une escroquerie juive. Mais son ouvrage prophétise à tort un effondrement intérieur du système communiste : c'est que la mort de Lénine a suscité pareils espoirs parmi les anticommunistes. Hitler s'y adaptera, et s'acharnera à faire de l'Allemagne une grande puissance militaire pour écraser cette Russie que Staline a su reprendre en main. D'où la conquête de l'Autriche pour unifier les germanophones et prendre à revers la Tchécoslovaquie, dont l'annexion progressive poursuit toujours un but d'essence pangermaniste, outre de prendre à revers, cette fois, la Pologne, pour "libérer" la minorité allemande et surtout se constituer une base de départ pour l'U.R.S.S. La tentative de paix de 1940 vise à donner au
Reich les mains libres à l'Est. Je trouve ça logique et cohérent, moi. Et surtout, ça repose sur des bases bien plus solides, et il n'y a pas chez moi volonté explicite de me démarquer des autres à tout prix.