L'appel du 18 juin - De Gaulle - forum "Livres de guerre"
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La description du livre

De Gaulle / Paul-Marie de La Gorce

 

L'appel du 18 juin de Laurent Laloup le mercredi 29 août 2007 à 09h00

Bonjour,

Trouvé sur le site de l'Huma, ce texte du poête Michel Deguy "A L’APPEL " (paru le 14 juin 1990)

A L’APPEL

« IL y a quelque chose en nous - et de plus en plus nombreux au cours des décennies de son autorité posthume - qui se prête à répondre à l’Appel de Charles de Gaulle. L’Appel monte du désastre, en appelle à la désobéissance et à la résistance, et fraye une issue de secours à l’impasse, une sortie désespérée : à court terme pas l’ombre d’une chance, à long terme, et au-delà, toutes les chances, c’est la structure du pari pascalien. L’homme adulte - ce qui veut dire la femme, évidemment - n’est pas fait pour l’obéissance. « Seul l’enfant obéit ; si un adulte obéit, il cautionne en fait l’instance, l’autorité ou la loi qui réclament obéissance. (…) Il ne saurait y avoir d’obéissance en matière politique et morale. » (Hannah Arend).

Enfant pendant la guerre, je n’ai pas entendu l’Appel. Puis je fus conduit au gaullisme de la deuxième génération par les témoins, dans la chaîne manuelle de la confiance. Les noms sont importants, parce que la conscience civique, historique et politique se forme selon l’estime et la fidélité ; j’évoque donc le souvenir de mon oncle paternel, Charles Deguy, fusillé en 42 au Mont Valérien ; l’influence de mon beau-frère Daniel Domange, qui fut déporté à Dachau à l’âge de dix-huit ans ; et l’exemple du gaullisme actif de Maurice Clavel, dont je fus l’ami.

Des déportés j’appris que l’être d’un sujet, de part en part historique, est déterminé en dernière instance, c’est-à-dire en catastrophe, par sa nationalité ; autrement dit par la représentation que se font les autres de cette nature nationale, en l’occurrence : de « l’idée de la France » qu’ils se font, eux, idée menacée de haine, de mépris, d’indifférence.

Le contexte de mon choix politique, après l’année Mendès-France qui fut celle de mon éveil et d’un engagement, était donc celui de la guerre d’Algérie. Clavel et les « gaullistes de gauche » nous persuadaient que l’indépendance et la décolonisation en général passaient par le retour de de Gaulle. L’histoire n’a pas montré qu’ils avaient tort.

Tout tient dans la langue, française en l’occurrence : celle des Jacobins et de Tocqueville, de Montesquieu et de Victor Hugo, de Condorcet, de Bonaparte, de Zola, de la patrie-en-danger au civisme des instituteurs de la IIIe République, de la séparation des pouvoirs aux utopies de l’Union. La langue est le comme-un des mortels. Les ennemis de Charles de Gaulle sont ceux de la Boétie ou de Platon, de Quinet ou de Bernanos, de Péguy ou de Ferry. Les ennemis sont la Grosse Bête démagogique, l’Argent, les idolâtries cléricales, l’idiotie des Egocentrismes ou des Intérêts.

Un portrait de Charles de Gaulle - une « certaine idée de De Gaulle » - m’accompagnait, corrélat de ma créance, fait principalement de la complexité paradoxale d’un alliage de contraires : absence d’illusion et principe d’espérance, idéalité et lucidité, utopie et cynisme, emphase et gouaille - à la « hauteur de vue » qui permette seule de gérer la contrariété des contraires coexistants (« Ordo et connexio idearum »). De Gaulle a tordu le cours de l’histoire ; retournant l’armistice en combat, la servitude en indépendance, il a contraint ce cours à renouer avec celui de la République ; il a clos l’impérialisme français, rendu impossible ici une « démocratie populaire », enrayé le règne des partis, légué un régime présidentiel, durable et amendable.

Plus de temps nous amènerait à réanalyser sa pensée du Travail ; il crut que la guerre réciproque du Travail et du Capital n’était pas le dernier mot - peut-être parce que la relation d’exploitation de l’homme par l’homme est si transcendantale que la philosophie marxiste (qui n’est pas science) n’en est qu’une représentation historique (c’est-à-dire relative à son mode 19e siècle), et qu’il y a à en reproposer une autre formule sociale et politique d’aménagement.

Nous n’en sommes pas sortis, n’étant pas encore tout à fait « sortis de l’Histoire ». Mais nous sortons de l’Age des Grandes Puissances, de la guerre froide, du surarmement, du ravage de la terre. C’est pourquoi il n’y a pas à répéter le gaullisme, mais à transposer. La question est donc de l’esprit de Résistance - à quoi ? Aux intégrismes, à l’entrechoc chaotique des convictions meurtrières, au libéralisme triomphant, à la technocratie et au déluge « culturel », aux tribalismes et aux racismes. Pour le partage, l’hospitalité, l’autodétermination de tous les peuples, l’existence légale et protégée de toutes les minorités, l’écologie philosophique, c’est-à-dire pour « une certaine idée de l’Europe. »

Résistance ! Résistance contre l’abaissement de l’idée de justice, l’ignorance de l’histoire républicaine de la Démocratie, la servilité à l’égard du Pouvoir et des puissants, le mépris réciproque généralisé entre personnes et acteurs sociaux, avec la corruption concomitante, le psittacisme idéologique et courtisan, la confusion croissante de la sphère de la vie privée et de l’espace public, accélérée par l’intégrisme des opinions simplistes, la vulgarité, le conformisme et la bassesse des messages publicitaires grâce auxquels les groupes d’intérêts (lobbies, sous-ensembles sociaux) perçoivent leur complicité de partenaires… ! Tout cela sans oublier ce que j’omets, dicte les mesures préventives contre l’érosion générale des distinctions essentielles que les séparations réelles (mot de Montesquieu) doivent s’efforcer de montrer, rappeler, prouver, en institutions, discours, oeuvres et pratiques : liberté d’expression jalouse et intraitable ; respect de l’égalité entre sujets tous considérés comme « personnes morales » ; insoumission spirituelle à l’égard des Importants et des Etablis ; protection acerbe de la laïcité ; éducation et instruction civiques ; formation du goût de la liberté par la culture, par l’ironie, coléreuse, contre les usurpateurs des richesses et des emblèmes ; et tolérance à l’irréductible étrangeté des autres, et sagesse du jugement aiguisé aux paradoxes qui seuls préservent le caractère antinomique de toutes les rigueurs selon lesquelles la vérité se diversifie en se contrariant !


Michel Deguy



Cordialement
Laurent

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