Pour répondre à Steph2, disons que je développe là une hypothèse qui, jusqu'à présent et à ma connaissance, ne l'a pas été - hormis par François Delpla, également ? Comme ce dernier le souligne avec pertinence, le massacre est habituellement expliqué par des considérations locales, ou bien par une barbarie inhérente au nazisme et aux
S.S., ou encore dans le contexte d'opérations de maintien de l'ordre.
Mais c'est oublier qu'Oradour tranche, justement, sur tout ce qui lui a précédé en France. A la différence des pendaisons de Tulle, qui s'inscrivaient dans la veine du programme anti-partisans rédigé par Lammerding le 5 juin et approuvé deux jours plus tard, la destruction de l'autre petit village est, en France, absolument inédite. Elle s'intègre certes dans une aggravation de la répression depuis 1940, de la politique des otages à la lutte contre "l'Armée secrète", de la création de la Milice aux exactions autorisées de la guerre contre les maquis. Le premier village incendié de France, celui de Rouffiniac, l'a été fin mars 1944, mais la population avait été évacuée. Par la suite, les nazis et leurs collaborateurs de Vichy n'avaient pu que réaliser leur échec, car les actes de Résistance se multipliaient. Et le Débarquement du 6 juin 1944 promettait de faire exploser le baril de poudre du Sud-Ouest, voire de la France entière.
Plusieurs indices laissent penser à une intervention personnelle de Hitler. Tout d'abord, la
radicale nouveauté que constitue Oradour en France occupée, et le fait que si les
S.S. ont agi de leur propre initiative, ils ont largement outrepassé leurs instructions telles qu'elles ont été écrites et ont subsisté, ce qui ne les caractérise pas,
car il existe une nuance entre "travailler en direction du Führer" et faire n'importe quoi. Autre élément, le fait que par un seul document allemand ne relatant précisément le processus décisionnel n'ait survécu à la guerre, signe non pas d'une inexistence, mais d'
une volonté de camouflage somme toute classique. Il est absolument invraisemblable que Dickmann ou son supérieur Lammerding aient organisé pareille opération sans en référer au Haut-Commandement. Cette version est d'autant moins crédible que ni l'un ni l'autre ne seront blâmés, Lammerding devenant même le chef d'état-major de Himmler lorsque ce dernier accèdera à de hautes fonctions militaires. Enfin, l'instruction du 7 juin émanant de l'
O.B.West précisait bel et bien qu'elle avait été édictée
"avec l'accord de l'état-major du Führer", preuve que ce dernier s'intéressait de très près à la situation en France et, plus précisément, dans le Sud-Ouest.
Francis Deleu signale dans
un de ses excellents articles ("Freins à la diffusion") que les Allemands semblent au contraire avoir été pris de court par le massacre. Oui, mais quels Allemands ?
Les autorités militaires, pas les S.S.. Sans doute n'ont-elles pas été consultées dans cette affaire. Il est vrai que le
M.B.F., tout à son souci de contribuer au coup d'Etat contre Hitler, militait de plus en plus en faveur d'un assouplissement de la politique nazie en France occupée.
Lammerding, en l'occurrence, a peut-être bénéficié d'un moyen de communication privilégié avec Hitler grâce à son amitié avec Himmler. Ce n'était pas la première fois que le
Führer court-circuitait la voie hiérarchique normale, divisant pour mieux régner.
Toute la politique de la "Solution finale" a été organisée de cette manière, revendiquant le secret pour diluer les responsabilités de chacun et permettre à quiconque de nier, et organiser des fuites, opérer des aveux plus ou moins clairs par des discours publics, pour laisser agir la rumeur. Car il est connu que la rumeur déforme, amplifie, tout en pouvant être officiellement démentie.
Même chose pour Oradour. Pas besoin de se vanter de la répression, comme à Tulle, on passerait pour des brutes sadiques. Autant passer simplement pour de simples brutes. On laisse agir la rumeur, tout en adoptant une politique visant à dissimuler les responsabilités du Haut-Commandement, donc du
Führer, lequel doit
toujours être couvert, quel que soit le crime considéré. Les protestations des autorités militaires, qu'on laisse agir, sont censées garantir l'existence d'un contre-feu : ce n'est pas l'Allemagne qui est en cause, mais une petite unité
S.S. méchamment tourmentée par des partisans communistes, même pas français pour la plupart. Ce faisant, Hitler fait le lit du négationnisme, car c'est exactement la thèse que reprendra par la suite l'escroc néo-nazi Vincent Reynouard.