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Des hommes ordinaires / christopher r browning

En réponse à -2
-1serait-il possible ... ? de 13emeDBLE

La date de la décision, et les Allemands ordinaires de Nicolas Bernard le mardi 07 août 2007 à 16h28

La véritable question qui ravage l'historiographie de la "Solution finale", dans laquelle s'insère cet excellent ouvrage de l'historien Christopher Browning, est de savoir quand Hitler a pris la décision d'exterminer les Juifs d'Europe. Cette problématique n'est pas simplement académique : elle amène à renouveler toute notre perception du nazisme, du déséquilibre mental, et pour tout dire du mal en général.

Pour certains, Hitler a pris sa décision assez tôt, selon des dates variant au gré de ces historiens baptisés après coup "intentionnalistes", lesquels ont régroupés des chercheurs tels que Eberhard Jäckel et Lucy Dawidowicz (pour qui Hitler s'est résolu à anéantir les Juifs d'Europe dès 1918). Sa politique étrangère et intérieure a en conséquence été dictée par sa haine antisémite. Le Führer savait ce qu'il faisait, c'était un meurtrier particulièrement retors, patient et manipulateur - bref, l'ordure absolue. Le nazisme est ici perçu comme un ensemble cohérent. L'erreur commise par ces historiens est de généraliser la nature de l'antisémitisme de Hitler, et les intentions de ce dernier, aux autres agents du génocide.

Erreur qui ne sera pas commise par l'école rivale, dite fonctionnaliste, laquelle insiste sur le rôle joué par les adjoints de Hitler et les autorités locales (S.S., forces d'occupation, bureaucratie), mais sombrera également dans l'excès. Selon elle, Hitler était une personnalité certes antisémite, mais un peu escroc et hésitante. Un charlatan brouillon et indécis, sorte de moderne Hamlet ("Tuer ou ne pas tuer, hier ist die Frage"). L'hostilité envers les Juifs est ici perçue comme un moyen (prise du pouvoir, mobilisation des masses), non une fin. Et si, en définitive, le génocide s'effectue, c'est à l'initiative de pouvoirs locaux ou subordonnés, qui mettent progressivement en place une mécanique qui finit par déraper, de la ségrégation à la ghettoïsation, de la famine aux massacres. Hitler lui-même se serait volontiers passé des chambres à gaz, mais aurait succombé aux inlassables pressions de ses propres adjoints. Ses allusions antérieures à l'extermination ? Poudre aux yeux et baratin. Telle est la théorie fonctionnaliste, incarnée par moult historiens allemands (Hans Mommsen, Martin Brozsat, Marlis Steinert). A leurs yeux, le totalitarisme nazi est une polycratie désorganisée, un gigantesque chaos, forcément dangereux puisqu'aucun contre-pouvoir ne s'y est organisé.

Depuis plusieurs années, la tendance est à l'unification de ces théories. Les intentionnalistes avaient sans doute raison d'insister sur le rôle de Hitler, mais négligeaient ses adjoints et les autres agents du génocide. Excès inverse des fonctionnalistes qui, eux, avaient le mérite de rappeler leurs responsabilités, mais révélaient qu'ils n'avaient absolument rien compris à la mentalité perverse du Führer.

Bref, un genre de consensus - auquel je ne me rallie pas, même si j'en reconnais les apports - tend à imposer l'idée d'un Hitler prenant la décision d'en finir avec les Juifs dans le second semestre 1941, alors que la guerre à l'Est tend à durer (intuition dégagée par Arno Mayer dans La Solution finale dans l'Histoire, La Découverte, 1987) et que la tension s'aggrave avec les Etats-Unis (Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, Seuil, 1989), le conflit ayant rendu impossible toute expulsion totale des Juifs d'Europe vers une réserve russe ou Madagascar. A mon sens, ces historiens (Philippe Burrin, Ian Kershaw, Edouard Husson, Christoper Browning) ont raison d'indiquer que l'ordre a été formulé à cette époque (notamment Edouard Husson, "Nous pouvons vivre sans les Juifs". Novembre 1941. Quand et comment ils décidèrent de la Solution finale, Perrin, 2005) - quoique au cours de l'été selon moi. Mais ils confondent deux notions, celle de la "prise de décision" et celle de la "communication de la directive". Sans parler d'autres historiens qui, malgré l'immense richesse de leurs apports, éprouvent des difficultés à hiérarchiser les différentes autorités (c'est l'un des travers de Florent Brayard, La Solution finale de la question juive : La technique, le temps et les catégories de la décision, Fayard, 2004).

Selon moi, Hitler a conçu dès 1918-1919 d'exterminer les Juifs, par vengeance pour ses échecs successifs - le sommet de la dépression étant atteint le 11 novembre 1918, puisqu'en bon déséquilibré il s'était totalement identifié à son pays d'adoption pour en devenir le plus parfait soldat. Mais il n'ignorait pas la radicalité de son projet, qui risquerait de choquer jusqu'aux antisémites eux-mêmes. Le génocide arménien, qu'il avait les moyens de connaître dans le détail grâce à l'un de ses plus proches collaborateurs qui y avait assisté, avait démontré la faisabilité de la chose - outre l'extermination des Hereros à laquelle avait participé le père de Göring. Mais plusieurs millions de Juifs... La science allemande, après tout, n'était-elle pas la meilleure du monde ?

Il lui fallait ainsi cacher son jeu, et préparer le terrain sur plusieurs années, y compris même parmi ses propres collaborateurs (Himmler, pour ne citer que lui, n'envisageait, au mieux, qu'une expulsion d'Europe en 1940). J'y ajoute que sa politique étrangère n'a pas été totalement dictée par cette haine, qu'elle suivait une voie spécifique qui devait finir par rejoindre ce fantasme de mort : l'édification d'un immense empire en Eurasie, sur les ruines de l'Union soviétique et après avoir satellisé l'Europe, ne pouvait s'effectuer sans l'annihilation des Juifs du continent.

Reste à également à examiner le rôle joué par les Allemands ordinaires. Selon Daniel J. Goldhagen (Les Bourreaux volontaires de Hitler, Seuil, 1996), les Allemands dans leur ensemble était dominés par la pulsion antisémite, une pulsion spécifique car "éliminationniste" : ils attendaient un agent pour leur commander le génocide, et Hitler n'a eu qu'à s'emparer du trône... Une thèse qui relevait de l'escroquerie, puisqu'il a été établi que Goldhagen avait manipulé ses sources (Ruth Birn et Norman Finkelstein, L'Allemagne en procès. La thèse de Goldhagen et la vérité historique, Albin Michel 1999). A dire vrai, l'antisémitisme allemand n'était pas plus violent que celui des autres pays, et les facteurs qui ont présidé au génocide sont assurément plus complexes (voir Christopher Browning, Des hommes ordinaires, Les Belles Lettres, 1993, qui met l'accent sur la pression exercée par la guerre, le conformisme et la propagande), quoique l'antisémitisme ne puisse être négligé (Edouard Husson, Hitler, les Allemands et la Shoah. Les enjeux de la controverse, F.-X. de Guibert, 2000).

L'attachement des Allemands au régime était si sincère que la Gestapo n'avait pas besoin d'effectifs importants pour contrôler le territoire du Reich, la délation étant répandue et l'auto-contrôle souvent pratiqué, sans oublier le fait que les oppositions avaient été brisées dès les premières années du nazisme (Eric A. Johnson, La Terreur nazie. La Gestapo, les Juifs et les Allemands ordinaires, Albin-Michel, 2001). Hitler avait su, grâce à la propagande, grâce à ses succès économiques (certes provisoires en attendant de rembourser les dettes par la conquête de l'Europe, et financés sur l'expropriation des Juifs - voir Götz Aly, Comment Hitler acheta les Allemands, Flammarion, 2006) et diplomatiques, s'attirer l'attachement des masses (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, Flammarion, 2006). Bref, l'autoritarisme du gouvernement national-socialiste existait bel et bien, mais l'adhésion des Allemands n'en résultait pas moins de ces autres facteurs (Robert Gellately, Avec Hitler. Les Allemands et leur Führer, Flammarion, 2003). Un antisémitisme larvé, de plus en plus suscité par Hitler au fil des années et par des moyens indirects, outre un certain égoïsme tout à fait humain ont validé l'aphorisme selon lequel "la route d’Auschwitz fut construite par la haine, mais pavée d’indifférence" - voir Ian Kershaw, L'opinion allemande sous le nazisme. Bavière 1933-1945, C.N.R.S., 1995.

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