Bonsoir ou bonjour,

La violence de la condamnation des choix et de l'action du général de Gaulle par les officiers supérieurs qui adopteront une position attentiste jusqu'en 1943 ou qui s'engageront dans la politique de collaboration avec le nazisme décidée et appliquée par Vichy, tient dans la nature même de l'acte fondateur de la France libre. C'est en se mettant en état de rebellion définitive que Charles de Gaulle quitte toutes les catégories et sort des hiérarchies militaires (et politiques) totalement dévaluées en juin 1940. Il fait le choix de la rupture. Or rien n'est plus insupportable aux yeux d'un officier supérieur battu (souvent sans même avoir combattu) que de voir un de ses semblables s'émanciper des structures traditionnelles qui, en mai et juin 1940 , ont démontré leur anachronisme et leur profonde inadéquation avec les tactiques nouvelles mises en oeuvre par l'ennemi. Par son choix radical et sans retour possible, le Connétable mettait en pratique ce qu'il avait défendu depuis les années 20 et plus récemment lors des briefings après les manoeuvres de chars autour de Metz devant un Giraud méprisant déjà complètement à côté de ses bandes molletières : la capacité d'improviser.
Jean-Luc Barré :
"Contre la théorie officielle fondée sur la suprématie du feu, Charles de Gaulle plaide pour l'initiative, le mouvement, la libre appréciation des "circonstances". En affirmant très tôt son refus de tout dogmatisme en matière stratégique, le jeune officier s'est déjà mis en situation de contredire tôt ou tard l'ensemble de sa hiérarchie."
Extrait de "Devenir de Gaulle", chez Perrin 2003.

(Note : Lorsqu'il entre en fonction comme sous-secrétaire d'Etat à la Guerre le 6 juin 1940, le seul officier auquel il aurait souhaité transmettre l'ordre de défendre Paris est Jean de Lattre de Tassigny qu'il savait capable de souplesse et d'improvisation, de Lattre qui sera d'ailleurs un des rares généraux de l'armée d'Armistice - si ce n'est le seul- à avoir tenté quelque chose en novembre 1942 lors de l'occupation de la zone Sud.)
Barré encore :
"Dans le processus qui, chaque jour davantage, entraîne alors de Gaulle vers une rupture irrévocable, un pas considérable reste à franchir : celui qui sépare sa contestation de plus en plus ouverte envers l'état-major de son entrée définitive en rebellion. Etape fatidique qui engagera tout d'un homme, de sa carrière et de son idéal, et dont la nécessité va s'imposer à lui comme un arrachement."

Il y a un autre fait qui stupéfie et fâche sa hiérarchie : en juin 40, de Gaulle est le seul responsable - civil ou militaire - à prendre la parole pour tenter de rompre l'incroyable mutisme qui s'est emparé de tout ce qui pouvait incarner encore un quelconque pouvoir, fut-il diminué, dans un pays qui déjà se prépare à écouter la parole anesthésiante du "bon papa" Pétain...

Sa rebellion et sa rupture sont les deux signes fondateurs d'une destinée pourtant improbable qui le conduira le 9 novembre 1943 à être le chef du premier gouvernement de libération nationale... contre tous ceux qui acceptèrent de subir ou de cautionner l'intolérable.
Ils n'ont pas oublié, ne lui ont jamais pardonné et c'est pour cela que leurs hagiographes actuels mettent encore une énergie furieuse mais vaine pour tenter d'atténuer la part de responsabilité qu'ils prirent dans la politique d'abandon et de collaboration de Vichy durant ces trois ans et six mois.

Amicalement,

René Claude