(26 Janvier 1941)" La radio vient de nous apprendre que la médiation japonaise est acceptée entre la Thaïland et l'Indochine. Les Japonais demandent deux nouvelles bases maritimes comme prix de leurs efforts de conciliation. Ainsi, l'épouvantail siamois aura-t-il servi au Nippon à s'implanter en Cochinchine. Je songe avec tristesse au destin de notre colonie. La tâche qui attend l'amiral Decoux est effroyable. Pour avoir emprisonné mes amis aprés mon évasion, il ne mérite que ma rancoeur. Mais je pense, en évoquant son visage rusé, ses rages feintes, explosives, qu'il est un de ceux qui peuvent se tirer au mieux de ce casse tête pas seulement chinois. Je revois mes derniers mois d'Indochine......
A une conférence, le capitaine de vaisseau Jouan, chef d'état major de l'amiral Decoux et son porte parole, n'at-il pas déclaré: "Qu'avons nous à perdre en continuant la lutte? L'Angleterre gagne la guerre et nous rentrons en France la fleur au fusil. L'Angleterre perd la guerre, et alors, malheur à la France! La vie ne mérite pas d'être vécue; le choix est donc fait!" Un vrai pari de Pascal!
Quelques jours plus tard, le médecin major du Lamotte Picquet, docteur Tabet, me rapportait ces paroles de l'amiral Decoux, qu'il venait juste de quitter: "Il n'y aurait qu'une chose à faire, rallier le général de Gaulle pour continuer la lutte avec les Anglais. Quel dommage que ce général ait choisi pour marin le seul amiral sous les ordres de qui je ne peux pas servir."
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Et je revois également cette entrevue avec l'amiral, déjà gouverneur d'Indochine. Il me reprochait d'avoir créé l'indiscipline par les conversations.
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L'amiral me serra longuement la main avant de me donner congé. Mais je lui précisais que je ne m'engageais à rien d'autre qu'à essayer par tous les moyens d'aller me battre. L'amiral conclut sur ces mots:"Je devrais vous mettre aux arrêts. Mais il est impossible de s'évader d'Indochine, aussi je puis vous laisser en liberté."
(Amiral André Jubelin, FFL "Marin de métier, pilote de fortune".) |