Les modérateurs me permettront-ils de vous relater cette véridique histoire vécue, qui illustre à merveille l'esprit anticonformiste des anciens DFL ainsi que l'ambiance toute particulière des "trente glorieuses"...?
Mon père fréquentait régulièrement ses camarades de l’Association des Français Libres ou des anciens de l’armée Rhin et Danube. Survivance des amitiés nées durant la guerre, ces réunions permettaient à quelques vétérans un peu oubliés de se retrouver une ou deux fois par an, de faire un bon repas en évoquant leurs aventures passées et de broder sans relâche un tissu social empreint de solidarité et de nostalgie.
Maman, ma soeur et moi n’aimions pas trop ces repas, où il fallait se tenir trop tranquille pendant des heures et entendre des histoires qui étaient tout sauf amusantes. Mais mon père n’aurait manqué ces retrouvailles pour rien au monde.
Au début de 1962, maman n’était pas loin d’accoucher de ma petite sœur. Vêtue d’une élégante robe de grossesse bleu ciel à plis couchés, elle se résigna une fois de plus à la traditionnelle journée de souvenir. Partis un peu en retard de la maison, nous foncions vers Aix en Provence. A l’entrée de la ville, la vitesse était limitée, et deux policiers en moto nous arrêtèrent, nous reprochant bien sûr notre allure excessive.
J’étais morte de trouille, et maman était toute pâle. Comme à son habitude, mon père ne se démonta pas. Il expliqua sans frémir que sa femme était sur le point d’accoucher et qu’il se rendait en urgence à la maternité. Il sortit, le temps d’un éclair, sa carte de Français Libre, cerclée d’une bande bleu-blanc-rouge, ce qui impressionna beaucoup les deux gendarmes!
Mais, pas très perspicaces, ils ne remarquèrent pas nos tenues du dimanche ni ne se demandèrent pourquoi maman, dans les prétendues douleurs de l’enfantement, était si belle, si bien maquillée et si bien coiffée. Ils mirent en route leurs phares bleus clignotants, et nous demandèrent de les suivre. Ils nous escortèrent, toute sirène hurlante jusqu’à la maternité. Maman était paniquée et sans doute aurait-elle pu, avec une telle émotion, rendre bien réel notre gros mensonge. A notre immense soulagement, les motards de la Police Nationale nous abandonnèrent devant l’hôpital, nous lançant un grand signe de la main complice, en guise, sans doute, de bonne chance.
Dès qu’ils eurent disparu, nous continuâmes notre chemin vers le restaurant où nous attendaient les fameux Français Libres, avec, pour Papa, une histoire enfin nouvelle à raconter !
C'était l'ambiance de mon enfance!
Frédérique LEON GUITTAT
La petite blonde avec les gants et le sac à mains blancs sur la photo du 8 mai 1965. Au Monument aux Morts de mon village de Provence ;-) |