Bonjour,
Les auteurs de la passionnante étude La province n'est plus la province consacrent au Cheval Ailé des pages riches d'éléments intéressants pour comprendre le rôle de cette maison qui permit aux écrivains compromis d'être imprimés, diffusés et lus dans les années qui ont suivi la fin de la guerre.
Printemps 1944. C'est l'éditeur Constant Bourquin qui, après avoir démissionné des éditions du Milieu du Monde (difficile de trouver une raison sociale plus suisse !), avec l'aide d'un banquier et éditeur lausannois, Pierre Cailler et également par l'entremise de Jean Jardin, ex-éminence grise de Laval(*), contacte un autre banquier, François Genoud, un citoyen suisse mais pronazi déclaré et suspecté d'être un agent de l'Abwehr par le contre-espionnage.(*)
Cailler et Genoud financent en restant dans l'ombre le projet de Bourquin : une maison édition qui va publier les nazis, les proscrits, les vaincus, les collabos, les vichystes - toutes tendances -, etc. Au conseil d'administration du Cheval Ailé vont se cotoyer à partir de 1946 Genoud, Adrien Lachenal et l'ancien président de la Confédération ... Marcel Pilet-Golaz. La présence du très discuté ministre, partisan d'une politique de neutralité bienveillante à l'égard du nazisme et du fascisme, éclaire rétrospectivement ses sympathies idéologiques durant la guerre. Note : si certains en Suisse tentent encore de trouver à Pilet-Golaz des circonstances atténuantes, on constate à travers sa participation à une maison d'édition très engagée, qu'il avait de la suite dans les idées... ! Fin de la digression sur Pilet-Golaz.
Des conflits à propos des choix apparurent assez vite, ce qui n'est guère étonnant au vu des parcours des protagonistes qui avaient vu leurs idées politiques être liquidées en même temps que l'Etat de Vichy puis le IIIe Reich. Là encore, on retrouve Jean Jardin en consultant occulte. De plus, Bourquin est un mauvais gestionnaire qui a englouti une très grosse somme, somme pour laquelle il peine à trouver des justificatifs...
Les écrivains français proscrits par le CNE furent accueillis par les éditions du Cheval Ailé :
Outre Henry du Moulin de Labarthète, Alfred Fabre-Luce, Bertrand de Jouvenel, Raymond Abellio, André Thérive, Paul Morand, Edmond Jaloux sont quelques unes des plumes publiées par Bourquin. Son catalogue compte aussi des nazis : Eva Braun, Gœbbels, Degrelle,... et des fascistes espagols comme Serano Sunner. Il édite les notes de prison de Laval mais des négociations avec Céline échouèrent. (L'éditeur de l'auteur d'Un château l'autre, Denoël a été exécuté après la Libération. L'assassin ne fut pas retrouvé.)
Bien cordialement,
RC
(*) Lire la bonne bio de Pierre Assouline, Une éminence grise, Folio.
(**) Il faudra déposer la bio consacrée par Pierre Péan à Genoud. |