L’Ecole des cadres d’Uriage : mythe et réalités politiques.
Dans son essai un peu iconoclaste, parfois excessif mais décapant La Libération inconnue – A chacun sa résistance (Cherche Midi, 2004), Maurice Rajfus, éternel empêcheur de célébrer et d’honorer en rond, consacre des pages à l’école des cadres d’Uriage, ce lieu mythique de la mémoire vichysto-résistante qui fut – et reste encore – une machine méconnue à blanchir des pétainistes : vous glissez dans la machine à récurer idéologique un cadre vichyste et Hop ! Après une série de prélavages-lavages-essorages-rinçages qui sont autant de glissements sémantiques plus ou moins discrets, vous obtenez un chef résistant patriote tout neuf, en général "apolitique". C’est épatant ! Mais ceux qui tentent d’analyser les étapes du blanchiment s’attirent très vite la colère des défenseurs outrés des cadres vichystes.
Maurice Rajfus écrit :
L’Ecole nationale d’Uriage, souvent montrée en exemple comme foyer de résistance en devenir, sous la direction du "Chef", Pierre Dunoyer de Segonzac, n’est semble-t-il qu’un pétainisme feutré, inculqué à ceux qui se sont réunis dans la montagne pour s’imprégner des valeurs nationales. Certes Uriage sera dissous, en décembre 1942 par décision du pouvoir de Vichy, mais il ne faut pas oublier qu'après le débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, de nombreuses institutions avaient dû mettre la clé sous la porte, car la chasse était ouverte aux foyers de dissidence. Il n'en reste pas moins que cette "école", tout en recyclant des monarchistes avérés, servait également de passerelle à l'idéologie vichyste, filtrée plus tard par certains secteurs de la Résistance. L'école d'Uriage, dans le cadre des chantiers de jeunesse, a été fondée en 1941 par des officiers de cavalerie catholique proclamés, "inspirés par le christianisme social d'Albert de Mun, et par les idées autoritaires de Maurras, pour entraîner les futurs éléments d'une nouvelle chevalerie chrétienne". Note perso : dès qu'on aborde les créations vichystes ou néo-vichystes, on revient toujours à l'idéologue de l'AF.
(...)Pour beaucoup, il s’agit plutôt d’un vichyste rénové, et c’est sans doute l’approche initiale de Dunoyer de Segonzac et de ses compagnons :
"L’aventure de l’équipe d’Uriage est une bonne illustration de l’évolution d’hommes qui partagèrent, sinon la totalité, du moins une partie de ce système de valeurs. Autour du vieux chef, le capitaine Pierre Dunoyer de Segonzac, s’était constitué une Ecole nationale des cadres. Influencé par la philosophie personnaliste, animée par d’anciens disciples de Lyautey et du père Doncœur(*), empruntant beaucoup au scoutisme (…) Dunoyer de Segonzac manifestait maintes réticences à l’égard de Londres – il n’admettait pas que l’on mît en cause la personnalité du maréchal Pétain(**)..."
Quand à la fin de 1942, Dunoyer de Segonzac décide d’entrer en contact avec des représentants de la Résistance, c’est dans l’entourage du général Giraud qu’il trouve ses premières liaisons et ce n’est pas par hasard. Pétainiste dévot, Giraud, qui se présente comme un officier apolitique, plaît à Segonzac. Il retrouve en ce général à l’ancienne un "chef" et un défenseur des acquis de la Révolution nationale. C’est surtout auprès des cadres de l’ORA (Organisation de résistance de l’armée, située à droite, malgré les dénégations de certains officiers qui affirment toujours "ne pas faire de politique") que l’ex-chef d’Uriage va développer son engagement résistant.
Comme le rappelle Maurice Rajfus, Uriage est la concrétisation du projet vichyste de "régénération mentale et physique" de la nation à travers la formation de ses élites et futurs cadres. Cette volonté de nettoyer les corps et les esprits est d’inspiration fasciste, voire nationale-socialiste.
Cordialement,
RC
(*) Le père Doncœur, antirépublicain forcené, était un jésuite militant au Mouvement pour la défense des religieux qui fut à l’origine de la Fédération nationale catholique (président : le général de Castelnau) située à l’extrême droite au point que son influence favorisa le regroupement de personnalités venues des droites les plus dures dans les années 20. Il était aussi le chef de la Ligue des Patriotes, un des viviers de l’extrême droite, selon M. Rajfus.
(**) Une citation extraite de l’étude « Le Temps des droites » de Jean-Luc Pinol. |