Bonjour Jacques, et désolé de t'avoir fait attendre.
Voici donc le point de vue de HG Wells sur de Gaulle:
"Wells, en tant que libéral, éprouvait une grande affection pour la patrie de la grande Révolution et une profonde admiration pour la lucidité de l’esprit français ; c’est dire que l’avenir de notre pays le préoccupait. Inutile d’ajouter que de Gaulle ne lui inspirait aucune tendresse. (…)
Un peu plus tard, en mai 1943, il allait publier dans World Review un long article hostile à de Gaulle (mais sans rien dire de Giraud) : « … Tôt ou tard, il faudra que l’opinion publique anglaise se rende compte du fait qu’en tant que symbole de l’unité nationale, le général de Gaulle s’est disputé avec l’Institut français, Muselier et Labarthe et pratiquement avec tous ceux qui n’acceptent pas sa domination. Sa conception de l’unité nationale et de la volonté de la France s’est rétrécie à tel point qu’il en constitue l’unique représentant. »
Après une sévère attaque contre Saint-Cyr qui a imposé à la France une caste de militaires professionnels aussi arriérés que ceux de l’Angleterre, Wells passait à la critique d’un livre français publié à Londres (Le Général de Gaulle, chef des Français combattants). Critique détaillée, ironique, virulente. Il est vrai que moi aussi, j’étais tombé en arrêt devant ce livre de propagande puérile, il m’avait franchement inquiété. Mais je laisse parler Wells :
« Ce livre (…) est imprimé en noir, rouge, bleu, vert et jaune ; sur la couverture on voit de Gaulle (…) enveloppé d’un manteau d’héroïque magnificence et assis, non pas comme on aurait pu s’y attendre, sur un tank de 1938, mais sur un cheval pommelé de rouge, à la crinière verte, et conduisant toutes les forces françaises réunies … »
Wells tourne les pages successivement et nous montre le petit de Gaulle avec ses jouets (des soldats et un canon) écoutant l’histoire de France, devant le tableau noir à Saint-Cyr, partant le 4 août 1914 pour le front « seul au milieu de l’enthousiasme populaire » et « grièvement blessé » par un obus « de gros calibre » - il faut bien que le calibre soit « gros » - ramassé par une ambulance allemande (« le tout est raconté comme si cela n’était jamais arrivé à un autre être humain »), tentant cinq fois de s’évader, rédigeant ses pensées sur la guerre moderne : « Aussi sublimement seul qu’à l’ordinaire, il ne consulte personne à ce sujet. La porte est grande ouverte ; un Allemand rusé se dessine dans l’embrasure, derrière lui, et, à plusieurs mètres de distance, photographie ses pensées… » Ainsi de suite jusqu’à l’action des gaullistes en Afrique du Nord « déjouant complètement les plans de Rommel » sans que soit mentionnée la coopération anglaise et américaine.
« Voilà les idées nationalistes que l’on inculquera aux enfants de France dans l’attente du grand jour du plébiscite gaulliste (…) Je ne veux pas insinuer que de Gaulle n’est pas sincère. C’est un mégalomaniaque naïvement sincère, etc. »
Ce qui avait le plus indigné Wells, pourtant fort peu chauvin, dans cette propagande grossière, c’est que la bataille d’Angleterre « ainsi que quelques autres petits obstacles au triomphe allemand » y étaient « totalement passés sous silence » !
Sans doute le jugement que cet album inspira au fameux romancier anglais sur de Gaulle est-il un peu court, mais j’y retrouve mon impression personnelle."
Pages 252 à 254 |