Bonjour,
Le lecteur, étranger à la France, est toujours frappé par cette particularité bien française de se déterminer presque obligatoirement dans un rapport conflictuel entre la gauche et la droite de l'échiquier politique. A croire que le succès d'un ouvrage ne se conçoit plus que par l'ampleur de la polémique entre partisans et opposants du pouvoir en place. Et lorsqu'il n'est pas possible de réduire les avatars de l'histoire en une lutte des classes, le regard des uns et des autres se portera outre-Atlantique pour désigner le "diable" responsable de tous les maux passés, présents et à venir.
L'historiographie française est-elle menacée par une droitisation galopante de ses références ? En toute candeur, répondrais-je, pourquoi l'historiographie devrait-elle rester l'apanage d'une gauche tout aussi galopante ? A propos de l'historiographie française, Annie Lacroix-Riz note : "Le grand historien britannique Hobsbawm, dans un Manifeste pour l’histoire, paru dans le Monde diplomatique de décembre 2004, constate et déplore « le refus d’admettre qu’il existe une réalité objective » : cette critique pertinente vaut particulièrement pour l’historiographie dominante française". C'est fort bien dit! Mais pourquoi donc cette critique ne vaut-elle que pour l'historiographie dominante ? Qu'entend Lacroix-Riz par "réalité objective" ? La "réalité objective" n'appartient-elle qu'à la gauche ou à la droite ?
Il ne s'agit pas de faire le procès des divers courants de la recherche historique mais de déplorer que les opinions trop partisanes desservent l'histoire et accentuent les antagonismes et les clivages idéologiques qui déchirent la société française.
Que ces généralités ne fassent pas oublier que nombre de publications, revues ou sites Internet, s'efforcent à réhabiliter le régime de Pétain par petites touches successives en mettant en avant les pseudo-réalisations d'une calamiteuse Révolution nationale tout en oubliant les abominations du régime. Des revues "sérieuses", par souci de pluralité, y succombent également en publiant des articles d'auteurs pour le moins contestables.
Par ailleurs, comme le souligne Igor Geiller, l'histoire "bataille" ou l'histoire "matériels militaires" rencontrent la faveur d'un large public. L'éventail des publications spécialisées exposées aux étals des bureaux/tabac est impressionnant. Je n'ai pas la moindre idée des raisons de cet intérêt pour la "chose militaire" trop technique et donc trop compliquée à mes yeux ??
La seconde menace que met en avant l'historienne Annie Lacroix-Riz est la financement de la recherche par l'initiative privée et plus particulièrement les entreprises. On peut le regretter comme on peut s'en réjouir. Lorsque les pouvoirs publics, limités dans leurs budgets et sollicités de toutes parts, sont défaillants pour répondre aux demandes croissantes de subsides, le mécénat ou la sponsorisation devraient être une aubaine pour les chercheurs. Hormis les exemples cités par Lacroix-Riz - mais est-ce encore de l'histoire - je ne suis pas convaincu que le chercheur dont la rémunération est versée par une entreprise y laisse son âme, probablement pas plus qu'en exhibant sa carte de parti auprès des pouvoirs publics. L'entreprise, au delà du mécénat, recherche le "return sur investissement" pour utiliser un terme à la mode. Elle ne prendra pas le risque d'écorner son image de marque en "sponsorisant" des chercheurs dont le sérieux pourrait être mis en doute.
Une dernière remarque pour terminer. Sauf quelques ouvrages spécialisés, les historiens en général ne semblent pas maîtriser les mécanismes économico-financiers en privilégiant essentiellement l'approche socio-politique. Je n'ai jamais trop compris la différence entre les partisans de l'école fonctionnaliste et de l'école intentionnaliste. Les deux démarches s'imbriquent, me semble-t-il, l'une dans l'autre. L'exemple le plus frappant est la spoliation et le pillage méthodiques des richesses françaises par les Allemands. Ces derniers ont mis en place tout un arsenal de mesures financières désastreuses pour l'économie (frais d'occupation, parité des changes, clearing, pénurie organisée, etc...) qui inexorablement acculaient le régime de Pétain à la collaboration économique et vidaient l'économie française de sa substance. Cette dimension économique est, me semble-t-il, essentielle pour comprendre la complexité des problèmes qui accablèrent les Français et aussi.... mais c'est un vaste sujet... ce qu'aurait été la place de la France dans le nouvel Ordre européen dont rêvaient les thuriféraires du régime. La simple lecture des comptes de la Nation les aurait édifié.
Bien cordialement,
Francis. |