Bonjour ou bonsoir,
Après avoir été impressionné par la qualité du travail de Pierre Péan dans "Vies et morts de Jean Moulin" dans lequel il présente sous une forme assez originale le parcours politique et militaire des principaux protagonistes de cette affaires, j'avais perçu ce "supplément" comme un truc un peu raccoleur. Alors qu'il avait mis en lumière certains personnages plus que troubles dans sa bio multiple (ainsi l'agent double voire triple Raymond Richard), en publiant sa "Diabolique de Caluire", Péan tombait dans le travers de l'enquêteur en mal de scoop. Le manque de pièces indiscutables et de témoignages irréfutables le gênaient bien un peu aux entournures, mais au lieu de s'en tenir aux éléments établis et exposés dans "Vies et morts..." avec précision, pour lancer son supplément, il ne pouvait que citer les "on-dit" et les réactions de membres des mouvements de résistance lorsqu'ils apprirent le contenu du rapport "Flora" en décembre 1944. Soustelle, chef de la DGER, donna l'ordre d'arrêter René Hardy qui "parut accablé" mais ne se révolta pas aux dires de son compagnon de lutte René Lacombe.(p.14) Hardy avoua avoir été victime d'un chantage au sujet d'une femme. C'est ce que Soustelle annonça alors à Bénouville. Péan va jusqu'à mentionner un article de Camus dans lequel l'écrivain dit que"sa femme s'était PEUT-ETRE (c'est moi qui souligne) trouvée aux mains de la Gestapo".("Combat" du 30 déc. 44) A partir de ces quelques hypothèses, Pierre Péan s'appuie sur des sentiments et des impressions. Il dit que Frenay est méfiant, par exemple, une impression très subjective à l'encontre d'une belle femme que les clichés voudraient faire passer pour une nouvelle Mata Hari, une aventurière fatale ou l'âme damnée de René Hardy...! Mais l'intime conviction d'Henri Frenay n'apporte nullement le début d'un commencement de preuve sur la culpabilité de Lydie Bastien, d'autant que le chef de Combat n'a pas toujours fait montre d'une grande lucidité dans ses bouquins...
Remontant la vie de Lydie Bastien, Péan aborde (p.72 et suivantes) son comportement avant sa rencontre avec Hardy.
Il s'étonne d'un "trou" entre le printemps 41 et février 42 et nous apprend qu'elle s'adonnait à l'occultisme, une passion relativement banale, surtout dans les périodes troublées, qu'elle aura toute sa vie et qui ne permet pas de tirer des conclusions définitives mais dont Péan se sert pour renforcer l'image trouble de Lydie Bastien chez le lecteur. (Je me suis fait piéger lors de ma première lecture, la construction par touches "grises" est habile !)
C'est le 23 janvier 1943 qu'elle rencontre René Hardy, séduisant célibataire et chef du réseau Résistance-Fer, dans un café de Lyon. Suit un exposé des soupçons de Frenay : Péan nous dit que le colonel Paillole n'a "trouvé aucune preuve en 1944, de liens entre Lydie Bastien et les Allemands" avant de poursuivre "...que sait Frenay pour émettre publiquement l'hypothèse que celle-ci aurait pu être un de leurs agents ?"(p.97) En mars 1948, des agents du SDECE en Allemagne obtiennent l'accord des contrôleurs américains de Klaus Barbie pour un interrogatoire. Le commissaire Bibes auditionne l'agent Barbie à trois reprises. Le témoignage accable René Hardy mais ce qui nous intéresse a trait aux déclarations de l'ancien du SD de Lyon sur Lydie Bastien. Il prétend que son adjoint Stengritt devint l'ange gardien de Hardy et alors que ce dernier soignait son bras cassé par une balle (ou une balle qu'il s'était tirée lui-même ?), il aurait eu une liaison avec Lydie-la-femme-fatale...
Plus loin, Péan affirme que Lydie Bastien aurait été recrutée par l'Abwehr et téléguidée par Oskar Reile !
Et toujours l'incapacité de l'enquêteur à produire un élément probant, un extrait de rapport ou autre.
Seul le "testament" de Lydie Bastien écrit des années après les faits a convaincu Péan qu'elle était une agente double... On sait que Lydie eut une fin de vie difficile : malade, un peu mythomane et n'ayant plus toujours toutes ses facultés mentales, son "testament" posthume n'est pas un élément convaincant. D'ailleurs Péan précise qu'il "n'est corroboré par aucune preuve écrite irréfutable qui attesterait que l'ex-fiancée de René Hardy a travaillé pour la Gestapo par le truchement de son amant Harry Stengritt, et aurait donc joué un rôle capital dans le drame de Caluire." (p.253)
Pierre Péan a une intime conviction; après avoir repris son livre, j'ai le sentiment qu'il s'est laissé piéger par une construction séduisante mais plus proche du roman d'espionnage que de la vérité historique. Ce livre de trop entache un peu sa passionnante enquête sur Jean Moulin, c'est dommage.
Amicalement,
René Claude |