Pour profiter de tous les avantages de ces pages, vous devez accepter les cookies |
Forum des livres, revues, sites, DVD, Cd-rom, ... , sur la 2e Guerre Mondiale, de 1870 à 1970 |
| | | | La description du livre
| | Dernières lettres d'Afrique et du Levant / François Garbit J'me comprends de Jacques Ghémard le jeudi 16 septembre 2004 à 22h50Une envie soudaine, comme ça, de vous faire partager le début d'une des lettres de François Garbit
Ma chère Maman,
Je vous écris du 23e hôpital écossais. Mon couvre-lit qui s'orne de carreaux bleus et blancs est soulevé par un arceau sous lequel repose, aussi emmaillotée qu'une momie, ma jambe gauche, qu'une balle a brisée.
Vous savez que le dimanche 8 juin, les forces alliées sont entrées en Syrie. Je reviendrai une autre fois sur cette question et sur la légitimité, la nécessité peut-être, de cet acte.
Mon Bataillon ne devant pas être engagé, quelques officiers, dont j'étais, avaient été détachés auprès des troupes Impériales Britanniques pour tenter de parlementer avec les troupes Syriennes et d'éviter l'irréparable. Je marchais avec une compagnie Australienne.
Nous avions fait mouvement toute la nuit précédente en camion puis à pied. Au petit jour, nous arrivons devant un village, franchissons un mur transformé en obstacle antichar et progressons dans un champ caillouteux. L’alerte est donné et nous sommes accueillis à courte portée par un feu nourri d'armes d'Infanterie. Les hommes s'abritent et le Commandant de compagnie décide de demander l'appui de l'Artillerie. En attendant, j'essaierai de parlementer.
Je pars donc agitant un drapeau tricolore et criant de toutes mes forces: «Français!» J'arrive sans encombre à une murette. Je monte debout dessus. J'agite mon drapeau. J'aperçois des tirailleurs Sénégalais à une cinquantaine de mètres et j'entends une voix bien française qui crie: «Tirez sur cet idiot avec son drapeau. Tirez. . . Tirez donc!» Quelques balles claquent. l'une d'elles déchire le col de mon chandail. Je n'insiste pas et je rejoins mon capitaine australien.
La fusillade reprend. L’artillerie se met de la partie. Pour moi, je n'ai rien à faire. Ma mission est terminée. En attendant une nouvelle occasion d'intervenir, je ne veux pas tirer sur des Français. Un Lieutenant Australien est blessé près de moi. Je le panse; je l'installe le moins mal possible et je regagne ma place. Quelques minutes après, je reçois une balle de Fusil Mitrailleur qui entre sous le genou et en sort par la face interne. Choc très dur qui me coupe la respiration. Deux Australiens s'empressent, me tirent à quelques mètres de là et commencent à me panser. Nouvelle rafale. Une balle me fait à l'épaule une plaie en séton insignifiante, une autre balle tue le lieutenant que je soignais il y a quelques minutes. Mes Australiens terminent mes pansements, m'étendent le long d'un mur avec mon bidon auprès de moi et regagnent leur emplacement. Il peut être sept heures trente.
Il ne reste plus qu'à attendre. Attendre est une grande fonction du soldat. Il attend la guerre, il attend l'attaque ennemie. Cette fonction, il l'a comprise la première fois qu'il a pris la garde et attendu deux heures un événement qui ne s'est pas produit. Mais il la réalise pleinement lorsqu'il a attendu, toute une journée, blessé, sur le champ de bataille.
J'ai attendu jusqu'au soir sans pouvoir faire un mouvement à cause de mes blessures et du feu ennemi contre lequel nous étions tous très mal protégés (il y eut encore un blessé et un tué à quelques mètres de moi). Le moindre mouvement fait par l'un d'entre nous attirait des rafales de Fusil-Mitrailleur qui faisaient voler la terre autour de nous. L’artillerie syrienne tirait également mais son tir trop long ne nous atteignait pas, et seuls quelques éclats et quelques cailloux parvenaient jusqu'à nous.
Je ne souffrais pas de la soif, peu de mes blessures et beaucoup de l'inconfort de ma position. Le temps me semblait passer avec une horrible lenteur. Je ne pouvais prendre ma montre dans ma poche et j'essayais de planter des brindilles de bois en terre pour deviner l'heure par la longueur de leur ombre.
J'avais peur. Peur comme un enfant. Mais cette peur avait un objet précis = la douleur. La mort ne m'effrayait pas. Je me sentais prêt à l'affronter. Mais l'idée d'une nouvelle blessure m'était insupportable.
Amicalement
Jacques |
*** / *** lue 1477 fois et validée par LDG |
| | |
|
| | |
|